Un dimanche 21 avril 2002
Un choc politique sous la Vème République
HISTOIRE POLITIQUE


Le contenu de mon article
Dimanche 21 avril 2002, jour du premier tour de l’élection présidentielle, il est exactement 20 heures lorsque le journaliste-présentateur de France 2, David Pujadas, annonce avec un air grave l’incroyable nouvelle : Jean-Marie Le Pen est semble t’il qualifié pour le second tour avec 17 % des suffrages juste devancé par le Président en exercice Jacques Chirac qui avec 20 % réalise ici le plus faible score pour un candidat sortant sous la Vème République !
Exit, Lionel Jospin, le Premier Ministre de Cohabitation qui avec 16 % des suffrages arrive en 3ème position et voit son rêve de conquête de l’Elysée s’effondrer, alors que bon nombre d’observateurs l’imaginaient gagner facilement à l’issue du second tour, face à un Chirac usé par sept ans de pouvoir dont cinq de cohabitation provoquée à la suite d’une dissolution ratée en 1997.
A Gauche, c’est un coup de massue pour tous les militants et les électeurs de cette « Gauche plurielle » mais à Droite, c’est aussi la stupeur, même si beaucoup sont persuadés que le match du second tour est plié et que le président sortant va pouvoir prolonger son bail au 55, avenue du Faubourg St Honoré car selon eux, les chances de succès du trublion le Pen sont très minces, du fait qu’il a déjà fait le « plein des voix ».
Interrogé par un Olivier Mazerolle médusé comme la plupart de ses collègues, Jean-Marie Le Pen, est indéniablement l’homme de la soirée, esquissant un sourire en coin et conteste le fait que sa qualification au second tour n’est pas une surprise et constitue un véritable camouflet pour l’exécutif qui devrait en tirer les conclusions qui s’imposent…
C’est d’ailleurs ce que fait Lionel Jospin qui lors de son allocution télévisée annonce qu’il se retire de la vie politique, optant pour une posture Gaullienne mais provoquant l’effroi de ses partisans qui vont connaitre la double peine durant cette soirée : l’élimination dès le premier tour et en outre, le risque de connaitre une véritable bérézina lors des élections législatives qui vont suivre….A contrario, le Président du Front National peut savourer son succès avec ses troupes qui exultent. Rappelons-nous qu' en 1974, lors de sa première candidature, il n’avait recueilli que 0,75 % des suffrages et le voilà à présent au second tour au bout de son quatrième essai !
Le ministre de l’Economie, Dominique Strauss-Kahn n’hésite à inciter les électeurs de gauche à faire barrage dès à présent au candidat d’Extrême-droite, le désignant comme un véritable danger pour la démocratie, et de reporter sans états d'âme, leurs voix sur Jacques Chirac. Pour beaucoup de ces électeurs de Gauche complètement traumatisés, ce sera le choix de la raison, même si certains avoueront avoir par la suite « voté » en se bouchant le nez.
C’est la seconde fois que cette même Gauche est éliminée sous la Vème République, la première c’était en 1969, mais dans des circonstances bien différentes : le candidat communiste Jacques Duclos, bien qu’ayant obtenu l’excellent score de 21 % avait été éliminé provoquant un duel entre l’ancien Premier Ministre Georges Pompidou et le Président du Sénat, Alain Poher. Le premier issu de la Droite, le second du Centre, « bonnet blanc et blanc bonnet » avait ironisé Duclos….
Mais dans l’heure et dans les quinze jours qui vont suivre jusqu’au second tour, le « choc démocratique » est rude et la réaction populaire s’avère massive : une mobilisation historique est constatée dans les rues et des millions de personnes, notamment beaucoup de jeunes ont manifesté durant cette période.. Jacques Chirac refuse de faire un débat avec son challenger, ce qui constituera une autre "première" dans l'histoire de la Vème République...
Une incitation au « vote barrage » est entendue aussi bien dans les médias que dans les états-majors politiques et cela va finir par porter ses fruits, le soir du 5 mai, Jacques Chirac est réélu Président de la République obtient un score exceptionnel : 82 % des voix, le plus fort de la Vème République mais bien sûr dû au rejet massif de Jean Marie Le Pen qui n'a pu bénéficier que du "soutien" de son ex-frère ennemi Bruno Mégret !
Ce 21 avril va longtemps hanter les esprits, entrainant alors une prise de conscience du risque de l’abstention et de la dispersion des voix. En effet, beaucoup ont vu dans l’échec de Lionel Jospin, la multitude de candidats à gauche, accusant au passage les Chevènement, Taubira ou Mamère d’avoir fait perdre l’ex-premier ministre pour moins de 200 000 voix.
La Droite et le Centre, avec son nouveau leader Jean Pierre Raffarin, Premier Ministre vont gagner les législatives qui vont suivre, obtenant au second tour 398 sièges contre 178 à la Gauche menée par François Hollande tandis que le FN n’obtient qu’un seul siège ! La Gauche ne sera bientôt plus « plurielle » et fera une cure d’opposition pendant dix ans jusqu’à l’élection de François Hollande tandis que le FN « pestiféré » ne va pas tarder à entamer une irrésistible ascension, continuant à provoquer des « barrages républicains » jusqu’à nos jours mais provoquant de plus en plus l’adhésion d’une partie de la jeunesse alors qu’elle n’était que confidentielle en 2002.
Un dernier enseignement concernant ce « 21 avril » : une élection n’est jamais gagnée d’avance, à l’instar d’un match de football qui se joue jusqu’à la dernière seconde, pour la circonstance c’est surement l’erreur commise par Lionel Jospin comme ce fut le cas pour Edouard Balladur face au même Chirac en 1995, la politique n’est décidément pas une science exacte.
Être le favori n’est pas un gage de réussite et l’éclosion de nouveaux « 21 avril » à l’endroit comme à l’envers peuvent se produire à tout moment, dans le secret de l’isoloir….