Toussaint Rouge

BILLET

par Thibault FILE-ETOUPE (02/11/2024)

Tout a basculé ce lundi 1er novembre 1954, il y a exactement 70 ans, sur une route sinueuse au cœur des Aurès, dans la partie orientale de ce qui était alors l’Algérie Française : un autocar qui assurait la liaison Biskra-Arris avec à son bord une cinquantaine de passagers dont deux « métropolitains » : Guy et Janine Monnerot, un couple d’instituteurs originaires de Limoges, fraîchement mariés et arrivés une semaine plutôt pour venir enseigner aux enfants du "Bled" de ce coin perdu.

Alors qu’ils conversent avec Hadj Sadok, le Caïd d’un Douar voisin (nom donné à l’époque aux fonctionnaires « indigènes » chargé de la gestion de « fraction de commune »), le conducteur de l'autocar freine subitement suite au blocage de la route par une poignée d’insurgés dont le leader s’appelle Bachir Chihani.

Ce dernier fait sortir de l’autocar, le couple Monnerot ainsi que le Caid Sadok à qui il demande se soumettre au nouveau Comité d’Action Révolutionnaire, genèse du Front de Libération Nationale (FLN) qui doit libérer l’Algérie du joug Colonial Français.. Le vieil homme de 87 ans refuse vertement ce diktat

C'est alors que tout dégénère subitement : Après la sortie supposée d’un revolver de la poche du Caïd, les insurgés tirent une rafale de mitraillette en direction des trois interlocuteurs qui s'écroulent sur le sol.

Les insurgés s’emparent de Sadok et repartent avec celui-ci à bord du bus (il décèdera dans la journée), en laissant le couple de Métropolitains sur le bord de la route. On connait la suite : Guy Monnerot ne survivra pas à ces blessures, mourant peu de temps avant l’arrivée des secours. Il sera considéré (à tort) comme le premier mort de ce que l’on appellera bien plus tard : la "Guerre d’Algérie". Son épouse survivra et rentrera rapidement en Métropole. où elle enterrera son malheureux conjoint.

Le même jour, plus de soixante-dix autres opérations insurrectionnelles vont être déclenchées à travers tout le pays, de l’Oranie au Constantinois en passant par la Kabylie mais c’est surtout dans cette partie orientale du pays qu’elles seront les plus nombreuses.

Une série de sabotages et d’attentats va donc se déployer, fruit d’une préparation minutieuse décrétée une semaine plutôt par ce qui va constituer le noyau originel du « Front de Libération Nationale » (FLN) composé de Rabah Bitat, Mostefa Ben Boulaïd, Didouche Mourad, Mohammed Boudiaf, Krim Belkacem et Larbi Ben M'Hidi dont le dessein est de déclencher « La Révolution du 1er novembre » afin de s’acheminer vers l’indépendance de l’Algérie après plus de 120 ans de « colonisation française ».

La réaction du gouvernement présidé par Pierre Mendès-France, (qui vient de négocier avec succès les accords de Genève qui ont débouché sur l'Indépendance de l'Indochine) ne se fait pas attendre, via les propos fermes du Ministre de l'Intérieur, François Mitterrand qui condamne toutes les exactions commises et qui promet de rétablir l'ordre dans les plus brefs délais proclamant au passage que "L'Algérie, c'est la France et la France ne reconnaitra pas chez elle d'autre autorité que la sienne".

Cependant, les raisons qui expliquent les différents soulèvements à travers cette partie intégrante du territoire Français, composée de plusieurs départements ne sont pas récentes. Dès les années 30, des mouvements nationalistes émergent de l'autre côté de la Méditerranée mais c'est à partir de 1945, notamment suite à la tragique journée du 8 mai (jour de la victoire) à Sétif et Guelma où des manifestations dégénèrent et provoquent la mort de nombreuses personnes.

Malgré quelques efforts timides de changement dont la fin du statut de "l'indigénat" en 1947., des inégalités criantes demeurent en cette année 1954: l'Algérie Française est toujours composée de deux collèges bien distincts: le premier, celui du million d'Européens ("les Pieds noirs") qui a autant de représentants élus que le deuxième, composé de huit millions de musulmans. Ces derniers ne jouissant pas des mêmes privilèges que les européens tant au niveau de vie, d'ascension sociale que de l'éducation.

En outre, l'émergence des mouvements de libération nationale au coeur des colonies françaises a été encouragée par la récente émancipation de l'Indochine ainsi que par les pourparlers d'indépendances concernant les protectorats du Maroc et de la Tunisie mais également par l'influence de l'Egyptien Nasser qui préconise de développement du Panarabisme.

N'oublions pas que dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, les organisations internationales, dont l'ONU ont bien mis en exergue ce concept de "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes" et de la volonté de décolonisation à travers le monde, notamment en Afrique.

A Paris, on entend pas le même son de cloche et en cette année 1954, le Gouvernement Mendès France confirme le maintien d'une Algérie Français, ne croyant pas au développement d'une armée de rebelles qu'il pense peu connu et surtout mal armé pour réussir à déstabiliser le régime en place.

On connait la suite, la crise algérienne s'aggrave, le mouvement de rébellion prend au contraire de l'ampleur tandis que Pierre Mendès France et son gouvernement est renversé à la Chambre. Son successeur, Edgar Faure décrète toutefois l'Etat d'urgence au printemps 1955, avant d'être lui même renversé au début 1956, faisant donc un court passage à l'Hôtel Matignon, tout comme ses successeurs, qu'ils s'appellent Bourgès-Maunoury, Gaillard ou encore Guy Mollet, dont aucun n'arrivera à trouver une issue à cette crise Algérienne.

Trois millions d'appelés, de rappelés et d'engagés fouleront le sol Algérien pour combattre cette guerre d'indépendance, coutant la vie a plus de 30 000 hommes (côté Français) mais plus de 500 000 du côté Algérien. Un lourd bilan qui provoquera l'agonie de la IVème République, faisant revenir au pouvoir le Général de Gaulle, douze après l'avoir quitté...

L'homme du 18 juin qui inaugure la Vème République a pour mission de trouver enfin une solution à l'épineux dossier Algérien. Apparaissant d'abord comme l'homme providentiel auprès des populations européenne enthousiastes , proclamant le 4 juin 1958 son fameux "je vous ai compris ! ".

On connait encore la suite: si le Général a réussi à fermer, non sans mal le douloureux chapitre qui a débouché sur l'indépendance de l'Algérie le 5 juillet 1962, il n'en demeure pas moins qu'il provoqua un sentiment de haine d'une grande partie de la population européenne d'Algérie qui ne lui pardonna pas sa "trahison", et dont la très grande majorité fut rapatriée en Métropole où elle ne fut pas très bien accueillie.

La frange la plus radicale d'entre eux avait rejoint les rangs de l'OAS qui perpétua plus d'une vingtaine d'attentats à l'endroit du Premier chef d'Etat de la Vème République, sans oublier le sort tragique des Harkis qui avaient servi l'Armée Française, un grand nombre furent massacrés sur place tandis que les autres rescapés vécurent des périodes très compliquées en France.

En 1975, pour la première fois depuis l'Indépendance, Valéry Giscard d'Estaing est le premier chef d'Etat français à fouler de nouveau le sol Algérien, accueilli en grandes pompes par son homologue, Houari Boumédiene. Un début de réconciliation mais on verra bien que les relations vont rester compliquées tout au cours des décennies suivantes.

L'Algérie ne cesse d'exiger de la France un devoir de repentance concernant la période coloniale, et le pouvoir en place (les héritiers du FLN) n'hésite pas à accuser la France, d'être toujours à l'origine des différentes difficultés que le pays rencontre actuellement: un narratif officiel qui ne convainct pas forcément 80 % de la population qui n'était pas née au moment de l'indépendance.

Emmanuel Macron, avec l'aide de l'historien (et pied-noir) Benjamin Stora est partisan de travailler en relation avec ses homologues algériens sur ce devoir de mémoire, sans manichéisme ni raccourci historique, afin que les "feux mal éteints" qui hantent les relations entre les deux pays puissent un jour s'éteindre... La tâche risque d'être ardue mais n'est pas impossible, 70 ans après les débuts d'un divorce douloureux.....

Thibault FILE-ETOUPE

01/11/2024.

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