Talleyrand la Girouette

Chronique d’un Acrobate Diplomatique et politique.

CHRONIQUE

Il y a des hommes qui marquent l’histoire par leur bravoure, leur génie ou leur loyauté. Puis il y a Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, autrement dit le diable boiteux, qui, lui, marqua surtout l’Histoire par son incroyable talent… à ne jamais choisir le mauvais camp. Ce personnage est l’incarnation même de la girouette politique, cette bête mythique capable de tourner à 360 degrés sans jamais perdre l’équilibre — et sans tomber de son mat. Chapeau bas, l’artiste !

Il avait vu le jour en 1754 dans une noble famille aussi éclatante que ses dettes futures. Destiné à la carrière militaire, un pied bot providentiel (et peut-être quelques pas de danse ratés) l’oriente vers l’Église, cette grande institution de reclassement aristocratique. Dieu merci. Évêque d’Autun mais ministre dans l’âme, il troque très tôt la soutane contre des valises diplomatiques pleines de secrets (et parfois de dessous de table). Sa foi en Dieu ? Moins solide que sa foi en l’intérêt personnel.

Quand on évoque Talleyrand, on pense souvent à ses multiples trahisons. Mais en vérité, il ne trahissait pas : il réajustait son allégeance en fonction du vent politique, un vent qui soufflait à une telle vitesse qu’il fallait être sacrément agile pour ne pas s’envoler comme un vieux chapeau. Il est passé de l’Ancien Régime à la Révolution, de Napoléon à Louis XVIII, puis à Charles X et même Louis-Philippe — autant de régimes que de vestes retournées, et ce, sans jamais perdre son sourire carnassier.

À côté de lui, n’importe quel politicien moderne fait figure d’amateur en termes d’opportunisme. Pendant que certains démissionnent ou finissent en prison, Talleyrand, lui, trônait au sommet, sirotant son vin avec un air de dire : « C’est encore moi qui vais rafler la mise. »

Les anecdotes ne manquent pas. Lors du procès de Louis XVI, Talleyrand ne prit pas parti clairement, un art subtil pour éviter de se faire des ennemis des deux côtés. Il aurait pu écrire un manuel intitulé Comment survivre à une Révolution sans perdre son chapeau. Pendant l’Empire, il devint le ministre des Affaires étrangères de Napoléon, tout en murmurant à l’oreille des alliés de l’Angleterre — preuve que même quand on porte un uniforme, la loyauté reste une option.

Mais l’apogée de son génie fut sans doute lors de la Restauration. Tout le monde pensait que Talleyrand allait disparaître avec Napoléon, mais non ! Il revint comme si de rien n’était, tel un vieux chat retombant toujours sur ses pattes (ou plutôt sur sa jambe saine). Il fut même nommé ambassadeur à Londres, où il joua au diplomate charmeur tout en envoyant des messages codés à Paris. Si jamais la diplomatie était un sport olympique, Talleyrand aurait raflé toutes les médailles d’or, d’argent et de bronze — probablement en changeant de pays entre chaque épreuve.

On raconte que lorsqu’il parlait, même ses ennemis ne pouvaient s’empêcher de sourire, un sourire mi-amusé, mi-consterné devant l’art consommé du renard déguisé en colombe. Son secret ? Toujours rester un peu mystérieux, ne jamais s’engager totalement et surtout, ne jamais oublier que le pouvoir, c’est avant tout savoir à qui vendre son âme ce jour-là.

Alors, quand on regarde Talleyrand, on ne peut s’empêcher d’admirer ce survivant hors norme, ce prince des girouettes, capable de boiter tout en marchant droit dans l’histoire. À une époque où les convictions se payaient parfois cher, lui avait inventé la conviction à géométrie variable.

Finalement, Talleyrand nous enseigne une chose essentielle : dans la vie politique, ce n’est pas la fidélité aux idées qui compte, mais la fidélité à… soi-même (et à sa survie, surtout). Et pour ça, il mérite bien son surnom de diable boiteux — le seul diable capable de danser au bal des puissants sans jamais se faire attraper jusqu'à son décès en 1838.