Quand je serai grand, je serai Premier Ministre.

Un CDD au sommet de l'Etat !

EDITORIAL

Philippe DUPONT.

Permettez-moi de vous transmettre une lettre envoyée par un enfant dont l’intitulé était le suivant :

Quand je serai grand, je serai Premier ministre…. Parce qu’à force d’écouter tout le monde dire « c’est n’importe quoi ce gouvernement », « moi à sa place, je ferais mieux », « il suffit d’augmenter les salaires et de baisser les impôts », j’ai fini par me dire : mais bon sang, c’est évident ! Ce poste est fait pour moi !. Etonnante détermination de notre jeune interlocuteur, d'habitude, lui comme ses camarades d'école aspirent plutôt à devenir pompier, astronaute, chanteur, footballeur voire faire le même métier que papa (à condition qu'il ne soit toutefois pas proxénète ni tueur à gages).

Quitte à faire un métier impossible, autant choisir celui où tu te lèves à 5h du matin pour te faire détester par 67 millions de personnes, y compris par ta propre famille.

Bon, c'est vrai, au même âge, certains visent encore plus haut:  Devenir Président de la République !, On ne citera pas de noms mais ils se reconnaitront, d'autres s'y voient un peu plus tard en se rasant devant la glace, mais là encore ils se reconnaitront également. Devenir Premier Ministre, c'est un choix plutôt insolite, surtout par le fait que cela dépend du bon vouloir du Chef de l'Etat précédemment cité.

Et puis, même si ça en impose sur un CV, il ne faut pas oublier qu'il ne s'agit que d'un Contrat à durée très indéterminée, où l'on finit par se voir affublé du peu enviable sobriquet de "super-fusible" quand les choses se gâtent et que votre "Patron" vous pousse vers la sortie, en commun accord avec... lui-même. Tu es le paratonnerre officiel de la République, le coupable idéal, le sac de frappe démocratique. Félicitations, tu viens de gagner une médaille d’or en solitude politique.

Je tiens à rappeler que Premier ministre, c’est  donc ce poste prestigieux où :

  • Tu travailles 80 heures par semaine pour faire passer une réforme que tout le monde réclame, mais dont personne ne veut.

  • Tu annonces les mauvaises nouvelles pendant que le Président, lui, parcourt le monde et tenter de rebattre le dessus des cartes au niveau géopolitique..

  • Tu es responsable de tout, mais tu ne décides de presque rien.

  • Tu fais tout ce qu'on te reproche de ne pas faire !. A savoir: Résoudre 40 ans de problèmes en 4 semaines, de ne pas céder aux lobbies tout en contenant chaque groupe d' intérêts, dire la vérité, mais pas trop, sinon ça fait peur et agir, mais surtout ne rien changer trop vite (sinon les gens manifestent).

Et puis, on l'a dit, le job est de courte durée, surtout en période de "majorité très relative", c'est ce qui arrive à l'équilibriste François Bayrou, vétéran de la vie politique, lui qui fit ses premières armes dans les lointaines années 80, puis se rallia par fine stratégie à Emmanuel Macron avant de lui forcer quelque peu la main pour obtenir le job dont plus vraiment personne ne voulait vraiment : celui de locataire de Matignon. Six mois que cela dure et déjà un titre de gloire: être le Premier Ministre le plus impopulaire de la Vème République avec près de 17 % de bonnes opinions!

Cependant, "être populaire" ne constitue pas un gage de succès, on se souvient de Jacques Chaban-Delmas qui démissionna en 1972 malgré ses plus de 63 % de bonnes opinions et qui trébucha piteusement lors de la Présidentielle anticipée de 1974 ou d'un Edouard Balladur (1993-95) qui connut le même sort lors de la présidentielle qui l'opposait à son ami de 30 ans, Jacques Chirac.

Ni d'être un premier de la classe, du style Juppé ou Fabius pour espérer se servir de Matignon pour accéder logiquement à l'Elysée: à ce jour, seuls deux anciens premiers ministres y sont parvenus: Georges Pompidou qui reste d'ailleurs à ce jour le recordman de longévité au poste (6 ans) qui fut d'ailleurs plus long que celui de son passage à l'Elysée (5 ans, interrompu par sa mort) et Jacques Chirac, lui deux fois nommé chef de gouvernement (1974 et 1986) et qui sera élu  finalement entre 1995 et 2007

En outre, le chef du gouvernement doit être l'arbitre d'un sport national: celui d' être systématiquement contre.. En France, on aime l’art de l’opposition perpétuelle. C’est notre patrimoine, comme le camembert ou la grève SNCF.

Il y a ceux qui veulent « plus d’État », mais sans les impôts. Ceux qui veulent « moins de bureaucratie », mais avec plus de fonctionnaires. Et ceux qui veulent juste dire non, par principe, et pour le plaisir de râler avec passion.

On les respecte parce que critiquer est un droit, et souvent même un devoir. Mais de temps en temps, une petite pensée pour ceux qui sont au volant du camion en flammes pendant l’orage, ce ne serait pas de refus.

Alors oui, quand je serai grand, :je serai Premier ministre, comme insiste notre jeune interlocuteur. Je tenterai de rester un temps certain aux manettes et en attendant de proposer ma place à tous ceux qui savent toujours mieux, plus vite et plus fort que ceux qui gouvernent.   La porte est grande ouverte et le fauteuil est encore chaud. 

Vivement que je sois grand. Histoire que je comprenne pourquoi tout le monde veut diriger… mais que personne ne veut vraiment gouverner.