Orléans.
Le spectre de l'anti-Sémitisme sur les bords de Loire
EDITORIAL
Philippe DUPONT
Ce samedi 22 mars en début d’après-midi, il vient de célébrer la prière du Sabbat à la Synagogue d’Orléans et rentre chez lui, accompagné de son fils de neuf ans lorsqu’il est abordé par un jeune homme qui lui demande…s’il est Juif, tout en le filmant avec son téléphone portable. Une curieuse attitude que reprouve Arié Engelberg qui n’est autre que le Rabbin d’Orléans mais qui déclenche une réaction violente de son agresseur qui le couvre subitement d’insultes antisémites, lui crache dessus, le roue de coup et finit même par le mordre dans le dos. Des passants filment la scène et viennent finalement en aide au malheureux Rabbin tandis que l’agresseur prend la fuite.
Ce dernier sera ultérieurement interpellé par la BAC, grâce aux témoignages filmés et l’on apprendra qu’il s’agit d’un mineur originaire du Maroc, âgé de seulement 16 ans mais au casier judiciaire déjà chargé. Il a été mis en examen et écroué pour des violences volontaires commises en raison de l’appartenance religieuse de la victime et sera jugé en avril devant le tribunal des enfants.
Il est clair que son agression a provoqué une très vive Indignation auprès de l’opinion publique, des médias qui ont largement relayé l’information ainsi que par la majorité de la classe politique qui a rappelé que la vigilance face à l’augmentation notable des actes antisémites devait être renforcée plus que jamais.. Emmanuel Macron dans un message de soutien au rabbin a fustigé l'antisémitisme comme un "poison" tandis que Serge Grouard, maire d'Orléans a rappelé avec colère que " L'agression du rabbin est totalement inacceptable, invraisemblable et intolérable. Il faut que l'on soit dans une logique de tolérance zéro et que tous les gens de bonne volonté se retrouvent pour dire 'ça suffit maintenant, il y en a marre' (sic).
Une marche silencieuse en soutien au Rabbin a eu lieu. « On n’aurait jamais pu penser que cela se produirait à Orléans » ont déploré certains des participants. La Communauté juive d’Orléans compte 400 personnes qui peuvent se réunir dans la mosquée de la ville inaugurée en 1970 et on n’avait effectivement jamais véritablement entendu parler d’antisémitisme récemment contrairement à d’autres territoires…
Orléans a d'ailleurs eu la particularité d’accueillir une communauté juive depuis le Moyen-Age, contrairement à d’autres communes de la région Centre mais qui connut toutefois des périodes sombres au cours de son histoire, du XIIIème siècle, période d’expulsion des juifs du Royaume de France à la sombre période de l’Occupation…Ce lamentable épisode antisémite de samedi dernier ne doit pas faire oublier, un autre évenement survenu dans la même ville d’Orléans en mai 1969 que les commentateurs ont omis de rappeler, dans un registre différent, mais avec comme arrière-plan, celui de l’antisémitisme rampant.
En effet, cette année-là, la Préfecture du Loiret fut également au cœur de l’actualité avec « La Rumeur d’Orléans , une affaire médiatique et politique qui a pris de l'ampleur dans la France toute entière. Selon la "rumeur" transmise par ce que l'on appelle le "bouche à oreille", des jeunes femmes sont enlevées dans les cabines d'essayage de plusieurs magasins de vêtements de la ville, tous tenus par des personnes issues de la Communauté Juive, en vue de les prostituer à l'étranger dans le cadre de la "Traite des Blanches" On disait alors que les jeunes femmes étaient évacuées par des souterrains qui menaient à la Loire où les attendaient un sous-marin. Du pur délire !
Le procureur de la République sera saisi de l’affaire et finira par conclure à une histoire inventée de toutes pièces, tout comme la Police qui confirmera qu’il n’y a jamais eu de disparition annoncée mais la rumeur persistera encore longtemps. Plus de quarante ans avant les réseaux sociaux, cette rumeur complotiste va être étudiée par un groupe de sociologues dirigé par Edgar Morin qui viendra même sur place pour comprendre ce curieux épisode qui passionna alors la France entière.
Aujourd’hui, les réseaux sociaux sont bien présents et jouent un rôle clé dans la propagation de l’antisémitisme, via des discours haineux, des fake news ainsi que des théories du complot qui se déversent en ligne et qui trouvent un terrain fertile parmi certains groupes aussi crédules qu'influençables. En outre, l’anonymat permet à de nombreux individus de pouvoir favoriser l’intensification de la Haine…
Malheureusement, on sait que l’incident survenu à Orléans n’est pas un acte isolé et doit nous faire réfléchir sur les dérives de certains de nos contemporains en matière d’intolérance et de respect des différences. Récemment, les actes antisémites ont connu une croissance exponentielle, lié notamment au conflit israélo-palestinien, mais également à cause de la poussée du radicalisme religieux ainsi que des préjugés et stéréotypes persistants sur la communauté juive…
Les leaders politiques, religieux et issus des associations ont appelé à éradiquer ce fléau à travers des mesures éducatives, de sensibilisation et de prévention mais les moyens pour y parvenir restent ardus tant les complotistes, les nationalistes et autres oiseaux de malheur du populisme sont plus présents que jamais pour promouvoir la « politique du bouc émissaire », responsables de tous les maux de notre civilisation, selon eux et qu’ils jugent menacées. A nous de rester vigilants pour combattre cet obscurantisme qui ne devrait plus avoir lieu en ce premier quart du XXIème siècle, comme si certains n’avaient rien retenu des drames du passé ou bercé depuis l’enfance dans une ignorance crasse, ce qui est aussi préoccupant pour l’avenir….

