On l'appelait aussi "JFK"

HOMMAGE

« Il ne parlait pas Anglais, ne savait pas taper à la machine et n’avait pas son permis de conduire » : trois sérieux handicaps en principe pour faire le métier de journaliste » Et pourtant il aura « révolutionné » à sa façon la profession durant les soixante dernières années même si au départ il y était venu un peu par hasard !

A 86 ans, Jean-François Kahn, également surnommé « JFK » comme l’ex-président Américain, a ainsi définitivement fermé le capuchon de son stylo avec lequel il avait écrit des milliers d’articles depuis le début des années 60.

Malgré les nombreux hommages à son endroit, celui qui fut durant toute sa carrière un « électron libre » inclassable et pourfendeur de la « pensée unique » ne fit pas toujours l’unanimité parmi ses pairs et surtout ses patrons, dont certains n’appréciaient pas sa farouche « indépendance », le poussant parfois vers la porte tandis que d'autres l'accueillait les bras ouverts...

Né à Viroflay (Seine et Oise) le 12 juin 1938, il était le fils de Jean Kahn (-Dessertenne), enseignant et philosophe, issu d’une famille juive originaire d’Alsace-Lorraine tandis que sa mère, Camille Ferriot, était une Catholique fervente qui avait d’ailleurs rencontré son futur mari dans l’Aube…

Le couple aura trois garçons : outre Jean-François l’aîné, suivront Olivier, qui deviendra chimiste et bien sûr Axel, le célèbre médecin et généticien avant de se séparer au début des années 50. Jean Kahn se donnera la mort en se jetant d’un train en 1970…

Tout comme son père, Jean-François était un pur « littéraire » a contrario de ses deux frères qui avait la fibre scientifique. Licencié en histoire, il travaillera quelque temps au tri postal, tâtera très brièvement de l’enseignement avant de finalement se retrouver dans le milieu du journalisme (dont il avouera lors d’un entretien à « France Culture » ne pas s’y être toujours vraiment senti à l’aise !) …

On connait la suite ou presque ; beaucoup d’entre nous identifient Jean François Kahn, au fondateur de « l’Evènement du Jeudi » en 1984, un hebdomadaire dont les actionnaires n’étaient autre que les lecteurs et qu’il avoua avoir créé parce qu’on ne voulait plus de lui ailleurs (sic) mais également pour afficher sa « farouche indépendance » et surtout sa « liberté de ton » (celle qui lui coûtera son renvoi d’Europe 1 en 1986, lorsqu’il traita les patrons du Groupe Hachette, propriétaire » de la Station de la rue François 1er de « requins »).

Une belle aventure que celle de « L’EDJ » qui finira toutefois par s’essouffler pour donner naissance à « Marianne » en 1997. Encore un hebdomadaire très « anti pensée unique » créé avec Maurice Szafran et qu’il dirigera jusqu’en 2007, tout en continuant à y avoir une grande influence encore récemment, y intervenant de façon plus modeste.

Mais pour cet homme éclectique qui fréquenta également les plateaux de télévision (l’Heure de Vérité, Droit de Réponse, etc…) déclina de nombreuses années son amour de la « chanson française » (Avec tambour et trompettes, sur France Inter) et qui écrivit plus d’une quarantaine d’essais politique, on ne doit pas oublier non plus qu’il fut à ses débuts un journaliste de terrain, couvrant les conflits du moment : la Guerre d’Algérie, le Vietnam, la Guerre des Six Jours…

Grand Reporter à « Paris Presse », au « Monde », à « L’Express » où son enquête sur la disparition de Ben Barka (avec Jacques Derogy) boostèrent autant sa notoriété que les ventes du journal, comme ce fut d’ailleurs le cas pour les « Nouvelles littéraires » alors journal moribond, repris par Philippe Tesson qu’il lui en confia la direction et qui ne le regretta point, voyant passer les ventes de 1 500 à plus de 100 000.

« JFK » un véritable « patron de presse » qui donna sa chance à plusieurs générations de journalistes, capable de réécrire à lui seul un tiers des articles qui ne lui convenait pas au moment du bouclage du journal, en signant de plusieurs pseudos différents.

Un homme engagé, qui préférait l’honnêteté à l’objectivité et qui fustigeait la « neutralité » de certains de ces confrères. Il fut connu pour ses prises de positions tranchées sur certains sujets concernant notamment le libéralisme économique ou encore sa ferme opposition aux différentes interventions militaires en Serbie ou en Irak.

Inclassable politiquement ? Pas tant que ça : dans sa jeunesse, il avait adhéré comme son père et son frère Axel au PC, avant de s’en éloigner rapidement, certains l’imaginaient à gauche, comme lorsqu’il fut engagé pour redresser « Le Matin de Paris » mais c’est plutôt vers le Centre qu’il bifurqua, soutenant ouvertement François Bayrou lors de la Campagne présidentielle de 2007, persuadé que le Béarnais représentait le « seul homme capable » de présider aux destinées de notre cher et vieux pays.

Il sera même élu Député Européen sur la liste MODEM en 2008 mais ne siègera pas à Strasbourg, préférant continuer à faire son métier de journaliste et d’intellectuel, quitte à sortir des inepties, notamment en 2011, lorsqu’en voulant défendre DSK, notre JFK parla de « simple détroussage de domestique » , provoquant un tollé général, faisant platement son Mea Culpa mais décidant finalement de « mettre un terme à sa carrière » .

Mais après plus de cinq décennies de journalisme, il continuera à intervenir très occasionnellement dans les médias y compris dans « Marianne » où il resta influent, partageant son temps entre Paris et son moulin au bord du Serein, dans le sud de l’Yonne, une terre qui séduisit également d’autres hommes de plume engagés tels Maurice Clavel, Max Paul Fouchet ou encore Jules Roy.

Encore très récemment, il s’opposa avec fermeté au rachat du journal qu’il avait co-fondé « Marianne » (appartenant au milliardaire tchèque Krétinsky) au non moins milliardaire Stérin, catholique et conservateur, risquant de faire perdre définitivement ce fameux refus de la « pensée unique » qu’il avait installé en 1997 et son ultime combat ne fut pas vain, puisque la vente a été stoppée…

Pour conclure, citons le vibrant hommage rendu par l’actuel premier ministre François Bayrou qu’il a publié sur « X » :

« Jean-François Kahn était un géant et un homme rare. L’incroyable créativité qui l’animait, son audace, lui ont fait fonder de véritables journaux : L’Événement du jeudi et Marianne. Il incarnait le « centrisme révolutionnaire », l’humanisme et la fidélité. Nous l’aimions ».

Jean-François KAHN (1938-2025)