Monsieur Dassault de Corbeil-Essonnes.

C'est l'histoire d'un milliardaire qui était tombé amoureux d'une grande ville ouvrière.

PORTRAITESSONNE

23 mai 2018.

Il est mort dans son bureau des Champs-Elysées à Paris, victime d’un malaise cardiaque. Il avait 93 ans. Mort au travail, le « must » pour un homme qui ne voulait pas entendre parler de la retraite, synonyme de mort « prématurée » selon lui.

Né avec "une cuillère en or" dans la bouche, Serge Dassault, né Bloch en 1925, fils de Marcel Dassault, avionneur, patron de presse et homme politique aura presque suivi le même parcours que son géniteur, mort à 94 ans en 1986. Jamais adoubé par ce dernier pour lui succéder, il en fera de même pour ses enfants….

Ayant vécu la période douloureuse de l’Occupation, celui qui porte alors le patronyme de Bloch, passera par le camp de Drancy mais échappera à la déportation, il intégrera par la suite l’Ecole Polytechnique et Sup-Aero avant de rejoindre l’empire familial, créant au passage l’Electronique Marcel Dassault.

Il prend officiellement le nom de Dassault en 1946, la famille Bloch (d'origine juive) a choisi ce patronyme de Dassault, en s’inspirant d’une déformation du nom de code « Chardasso », un des pseudonymes utilisés par l'oncle de Serge, le général Darius Paul Bloch, dans la Résistance. Il se convertit également au catholicisme au début des années 50.

Quatrième fortune de France, il aura considérablement fait « fructifier » le patrimoine familial. Sa disparition a suscité des commentaires paradoxaux : « un des derniers grands capitaines d’industrie » pour les uns mais « pur produit du clientélisme ou fraudeur invétéré » pour les autres….

                                                       LE VIRUS FAMILIAL DE LA POLITIQUE

En 1976 , Serge Dassault veut se lancer dans la politique, comme la fait avant lui son propre père, Marcel. Homme de défis, il ne veut pas céder à la facilité : à savoir se faire élire à Saint Cloud, Coignières ou Neuilly ou même hériter de la circonscription de son père dans l’Oise (ce que fera ultérieurement son propre fils, Olivier puis son petit-fils). Non lui, a d’autres idées en tête….

Ce chasseur invétéré a comme compagnons d’armes : Stanislas Darblay, un des grands patrons Corbeil-essonnois, inventeur du « Sopalin » ou encore Jean Bouvet, fondateur du journal « le Républicain » (dont Serge Dassault deviendra ultérieurement le propriétaire), des personnes influentes dans la sphère essonnienne….

Anti-communiste viscéral, Serge Dassault oriente d’abord son choix sur les trois sous-préfectures de l’Essonne qui s’avèrent être tous les trois des villes « rouges » : Palaiseau, Etampes et Corbeil-Essonnes. Il jette finalement son dévolu sur cette dernière qu’il connaît vaguement pour l’avoir traversée lorsqu’il se rendait à Villaroche, à quelques kilomètres de là…. Et puis sur Corbeil, il y a également un gros site de la SNECMA….

Un véritable défi qui relève à première vue de l’utopie : imaginez un milliardaire à la tête d’une grande cité ouvrière, « citadelle communiste » jugée imprenable, dirigée depuis 1959 par Roger Combrisson, également Conseiller général et Député de la 1 ère Circonscription de l’Essonne !

Mais notre industriel n’hésite pas à se lancer dans la bataille. Président du Parti Libéral, micro parti de droite, il se présente aux élections municipales de 1977. Le résultat est prévisible, Roger Combrisson est largement réélu, comme ce sera également le cas l’année suivante dans la 1ère circonscription de l’Essonne (Corbeil-Montgeron) qui les oppose une nouvelle fois.

Tout sépare ces deux hommes : l’un que l’on ne présente plus et l’autre, chef de district à la SNCF, vieux militant communiste présent dans la commune plusieurs décennies et qui n’a pas peur d’affronter les « puissants », « les gens de la haute » comme il le fit naguère avec son voisin d’Evry, Michel Boscher qui eut l’outrecuidance de lui « chiper » la place de Chef-lieu de l’Essonne…

Malgré son anticommunisme viscéral, Serge Dassault sait que son père déporté a été sauvé notamment par Marcel Paul, futur ministre communiste à la Libération. D’ailleurs une rue du quartier de Montconseil porte son nom, une des rares que notre édile ne débaptisera pas lors de son accession à la mairie.

Entre 1983 et 1995, Serge Dassault continue à s’implanter localement mais ne connait aucun succès électoral face à un Roger Combrisson toujours aussi imbattable….

Mais l’ancienne Capitale de l’Essonne vit des moments difficiles : la désindustrialisation frappe de plein fouet la ville et en une décennie, plusieurs bastions vont s’écrouler tels des châteaux de cartes : Decauville, Darblay ou encore Crété, gros pourvoyeurs de main-d’œuvre qui vont être victimes d’une mondialisation galopante. Un taux de chômage endémique s’invite au coeur d’une ville qui avait connu jusqu’alors le quasi- plein emploi…

L’image de marque de la ville est également détériorée par l’insécurité grandissante qui règne notamment dans le quartier très sensible des Tarterêts, représentant à l’époque le quart de la population Corbeil-Essonnoise.

En plus, la ville qui a refusé d’intégrer la ville nouvelle d’Evry voit la plupart de ses administrations migrer vers sa voisine. En une décennie, le tribunal, la chambre de commerce, la plupart des directions départementales ont quitté le sol Corbeillois pour s’implanter chez sa voisine…

                                                       LE SOUFFLE LEGER DE LA VICTOIRE

Mais 1988 voit cependant les efforts de Serge Dassault se concrétiser sur le terrain : il l’emporte de justesse face à la sortante Communiste Aline Marti dans le nouveau canton de Corbeil-Est. C’est un mini-évènement et on pense alors que les municipales qui arrivent en mars vont permettre au milliardaire de réussir enfin son pari : s’emparer de la mairie après trois décennies de communisme….

Mais il n’en est rien : il échoue une fois de plus face à Roger Combrisson lors des municipales de 1989. La stratégie de conquête du milliardaire reste très aléatoire. Ne risque-il pas alors de jeter l’éponge ?

En 1995, une série documentaire intitulée « du côté de chez nous » conçue par Rémi Lainé et Tony Karlin est diffusée sur Antenne 2. Il s’agit du portrait en plusieurs volets d’une ville francilienne : Corbeil-Essonnes et ce, à l’orée des élections municipales… Les deux auteurs y interrogent les habitants de la ville : les notables, les ouvriers, des habitants des Tarterêts, les élus….

On y aperçoit bien sûr Serge Dassault, bientôt 70 ans, qui compte bien se présenter aux municipales, encouragé par sa réélection l’an passé aux cantonales mais cette fois ci avec une majorité plus confortable qu’en 1988. Tous les espoirs sont permis, d’autant que son sempiternel adversaire, l’indéboulonnable Roger Combrisson a mis fin à sa carrière politique trois ans plus tôt, cédant sa place à Marie-Anne Lesage, également Conseillère générale communiste de Corbeil-Ouest….

Une scène cocasse montre Serge Dassault et son épouse Nicole jouant à la « vraie vie » en allant faire leurs courses au supermarché. « Tiens, on va prendre une petite voiture » notifie Serge Dassault qui ignore le nom de « caddie ». Il a des circonstances atténuantes : il n’a jamais dû fréquenter ce genre d’endroit….

Dans un registre plus sérieux, la série montre bien les tranches de vie d’habitants qui assistent à la fin d’un cycle : le glorieux passé industriel de Corbeil-Essonnes est rangé au magasin des souvenirs, le clientélisme « communiste » pour acheter la paix sociale dans les cités est à bout de souffle, la montée inexorable de la délinquance servie par des infrastructures sécuritaires très insuffisantes : deux policiers affectés la nuit pour surveiller une ville de 40.000 habitants.

La maire sortante fait visiter la ville aux nouveaux arrivants tandis que Serge Dassault continue à serrer des « paluches » dans les moindres recoins de la ville. On sent que quelque chose se passe, et l’espoir grandit chez les sympathisants du milliardaire qui savent que c’est le moment ou jamais d’enfin remporter les municipales après 36 ans de règne communiste sans partage….

                                          LA VICTOIRE ET UNE GRANDE HISTOIRE D’AMOUR

Ce dimanche de mars 1995 voit les efforts de Serge Dassault récompensés : il remporte l’élection avec plus de 55 % des suffrages. A gauche, c’est le « coup de massue » : la capitale « communiste » de l’Essonne est tombée dans les bras d’un des hommes les plus riches de France !

Ce soir-là est d’ailleurs très douloureux pour le parti de la Place du Colonel Fabien puisque les deux autres sous-préfectures du département : Etampes (où Franck Marlin est largement élu face à Gérard Lefranc) et Palaiseau (quand Jacques Allain déloge une autre grande figure du PC : Robert Vizet) basculent également à droite !

Autre symbole fort et qui présente de grandes similitudes avec Serge Dassault à Corbeil : au Havre, plus grande ville communiste de France, le fortuné Antoine Rufenacht réussit à prendre la ville, après trois tentatives infructueuses….

Dès son élection, le milliardaire va consacrer une grande partie de son temps à « sa ville », omniprésent, il ratisse tous les quartiers sensibles, « lui qui ne savait pas ce qu’était une HLM », selon un de ses proches, part à la rencontre de ses administrés.

Le premier mandat de Serge Dassault va effacer progressivement les traces de la longue période de la direction municipale communiste : des effectifs pléthoriques à la mairie (+ de 1000 employés pour une ville de 40 000 habitants), arrêt ou diminution drastiques des subventions généreuses aux associations culturelles trop marquées politiquement : ainsi « le Théâtre du Campagnol » de Jean Claude Penchenat en fera les frais avant de quitter la ville.

D’ailleurs, notre avionneur libéral n’a cessé de fustiger les infrastructures de « prestige » construites durant la période communiste : « le palais des sports », le « stade nautique », « le centre culturel » qui sont des « gouffres financiers » selon lui.

Mais c’est également le lancement d’un vaste programme immobilier avec accession à la propriété et qui ne s’arrêtera plus jusqu’à aujourd’hui, permettant à la ville de dépasser les 50 000 habitants.

                                                         LE VIEIL HOMME ET L’OPPOSANT

La période communiste n’est plus qu’un vieux souvenir et le nouveau maire de Corbeil-Essonnes est Facilement réélu dès le 1er tour en 2001 avec 51 % des suffrages, l’action municipale de Serge Dassault a donc porté des fruits. Cette année-là, il se trouve un nouvel adversaire en la personne de Bruno Piriou, militant communiste de 40 ans et élu Conseiller général de Corbeil-Ouest en 1998.

Ce digne héritier de Roger Combrisson, originaire de Draveil ne pas va d’abord pas suivre les pas de son glorieux aîné en accumulant d’abord les revers électoraux face à son adversaire déclaré, mais il s’avère être un adversaire très opiniâtre et cela finira par payer, mais bien plus tard…

Dans la commune voisine, Evry, est élu un candidat socialiste parachuté d’Argenteuil, un certain Manuel Valls, futur premier ministre qui va entretenir par la suite des relations plutôt amicales avec son homologue de Corbeil, même si les deux hommes demeurent des adversaires politiques. D’ailleurs ils s’affrontent lors des législatives de 2002 qui tournent à l’avantage de Valls qui l’emporte avec 52 % des suffrages.

Le deuxième mandat de Serge Dassault est marqué par une ambitieuse politique de la ville menée par le gouvernement Raffarin sous la houlette de Jean Louis Borloo dont le dessein est de revitaliser les quartiers sensibles : Corbeil-Essonnes n’en manque malheureusement pas : une vaste opération est lancée aux Tarterêts, la plus emblématique cité « chaude » de la ville, mais également dans les quartiers Montconseil et à la Nacelle.

Plusieurs tours vont être détruites pour être remplacées par des constructions avec peu d’étages afin de reloger les habitants concernés dans des logements plus conviviaux ou de les envoyer dans des agglomérations à taille plus modestes (notamment dans le sud-Essonne).

L’idée d’éradiquer les « zones de non-droit » est la vertu première de ce type d’initiative. Mais la non mixité de la population, « excentrée » par rapport à la ville ancienne, avec un risque de développement du communautarisme et la poussée inexorable d’un chômage endémique, facteurs d’exclusion et générateur de délinquance restent les problèmes majeurs….

Le redéveloppement économique est la clé de la voute de la réussite d’une rénovation urbaine : la mise en place de zone franche est lancée en partenariat avec sa voisine et rivale : Evry qui souffre des mêmes maux : insécurité, chômage, faible mixité et revenus modestes….

Déjà, des bruits circulent que Serge Dassault perpétuerait la tradition familiale de distribuer des enveloppes…. Son avionneur de père arrosait généralement les élus de son département de l’Oise, toutes tendances confondues et que peu d’entre eux refusaient.

Le fils est généreux avec ses électeurs ou plutôt ses futurs électeurs. On peut appeler cela du clientélisme. Lui rétorque qu’il « aide » des gens en difficulté, leur permettant de monter des projets avec ou sans renvoi d’ascenseur. Marketing politique ou pure philanthropie ? La réponse est certainement entre les deux.

2004 marque une forme de consécration pour Serge Dassault, il est élu Sénateur de l’Essonne. Il a 79 ans et va pouvoir ainsi mieux défendre son « territoire » sous les ors dorés du Palais du Luxembourg, il doit cependant pour cause de cumul des mandats renoncer à son siège de Conseiller général. Il est néanmoins remplacé par un de ses fidèles, son adjoint à la culture : Jean Michel Fritz, issu d’une vieille famille Corbeil-Essonnoise et créateur du fameux festival de Jazz organisé chaque début d’été dans la commune.

                                                       LES NUAGES NOIRS S’AMONCELLENT

Le deuxième mandat de Serge Dassault ne se termine pas comme il avait commencé : réélu dès le premier tour en 2001, il doit faire face à une opposition menée par le socialiste Carlos Da Silva qui va ravir en 2008 le canton de Corbeil-Est à Jean Michel Fritz et surtout par Bruno Piriou qui fustige le système « Dassault » et qui espère bien lui ravir son écharpe de premier magistrat ce qui pourrait permettre de revenir dans le giron communiste…

L’endettement de la ville s’alourdit, malgré un réchauffement dans les relations avec sa voisine Evry, les deux communes continuent à se tourner le dos en étant à la tête de communauté de communes différentes.

Les difficultés de deux anciens fleurons : Hélio-Corbeil, héritière de l’imprimerie Crété lutte pour sa survie tandis qu’IBM devenue Altis connaît le même sort. Dans les deux cas, le milliardaire s’investit pleinement pour sauver ces ex-valeurs sûres.

Malgré une majorité qui s’est fissurée au cours de son mandat et la présence au 1e tour de l’ancien pilote Bernard Darniche (qui se ralliera finalement à lui), Serge Dassault est réélu avec un peu plus de 50.8 % des suffrages.

Mais cette réélection va être contestée par ses opposants qui dénoncent des « achats de voix ». Le tribunal administratif va leur donner raison en annulant l’élection en 2009. Serge Dassault doit passer la main à un de ses proches pour sauver « sa mairie » face à une opposition qui sent son triomphe arriver à petit pas….

Mais voilà que son principal adversaire, Bruno Piriou est lui aussi rendu inéligible à la suite de la déclaration erronée de ses comptes de campagne. C’est Michel Nouaille, professeur d’EPS et militant communiste de longue date qui va affronter le candidat de la majorité municipale.

                                                         UN CORREZIEN SUR LES BORDS DE SEINE

On hésite quant au choix du candidat à droite : au départ Serge Dassault pense à sa femme Nicole pour lui succéder mais ce choix est très rapidement écarté. Xavier Dugoin, ex-président du Conseil Général, ancien sénateur-maire de Mennecy, espère « rebondir » dans l’ancienne capitale de l’Essonne mais le milliardaire y met son veto et se tourne finalement vers un de ses « bras droit » : Jean-Pierre Bechter...

Serge Dassault a fait la connaissance de ce dernier lors de l’enterrement de son père en 1986. Bechter, était un collaborateur de longue date de l’avionneur. Les observateurs voient en ce « parachuté » un homme de paille mais c’est bien méconnaître le cursus de celui-ci : plusieurs fois député de Corrèze entre 1978 et 1988 (son département natal), cet ancien sous-préfet, également proche de Jacques Chirac a été comme lui élu au conseil général de Corrèze (canton de Saint-Privat) et …à la Mairie de Paris montre une expérience de la chose publique.

L’élection sera remportée sur le fil (moins de 30 voix) par l’ex élu Corrézien et d’emblée une rumeur de fraude électorale noircit le ciel Corbeil-essonnois…. De plus, les propos du « nouveau maire » laissant planer le doute sur son rôle dans le futur en clamant que c’est « Serge Dassault » qui a gagné…

                          L’ANNULATION DE SCRUTIN, LA NOUVELLE SPECIALITE DE CORBEIL-ESSONNES

La nouvelle municipalité Bechter sera de courte durée car un recours est déposé au Conseil d’Etat par des opposants plus remontés que jamais contre les pratiques du « système Dassault ». Les juges leur donnent raison et de nouvelles élections ont lieu en 2010.

Le vieux Milliardaire n’est pas candidat et laisse Jean Pierre Bechter se relancer dans la bataille. Ce dernier devra affronter Bruno Piriou, l’éternel opposant dont l’inéligibilité a été levée. Ce dernier est vraiment persuadé de pouvoir mettre fin à quinze ans de municipalité de droite affairiste mais il trébuche encore une fois au second tour, Bechter l’emporte avec plus de 52 % et ce malgré une division à droite opérée au 1 er tour.

Le Sénateur Dassault reste très présent dans sa ville, concrétisant la réalisation du futur Hôpital Sud Francilien, véritable mastodonte regroupant plus de vingt-sept anciens sites en son sein et surtout la fusion des hôpitaux de Courcouronnes et de Corbeil-Essonnes. Généreux avec les Musulmans des Tarterêts, il participe également à la rénovation de la Cathédrale Saint-Spire, de quoi s’attirer toute la bienveillance des différentes communautés….

                                                                               MON AMI MANUEL

La scène est hilarante, elle se passe en septembre 2012 : le nouveau ministre de l’Intérieur, Manuel Valls vient inaugurer la foire de Corbeil-Essonnes. L’ancien maire Serge Dassault prononce un discours flatteur à l’endroit de son « adversaire politique », lui affichant d’ailleurs un soutien sans faille, sous le regard goguenard de ses voisins (Bechter, Da Silva, Piriou).

L’instant est aussi drôle qu’embarrassant pour le futur Premier ministre qui s’en tire avec un « sourire à la grimace » et une pirouette humoristique pour remercier son hôte. Il pourra d’ailleurs le congratuler une fois de plus mais cette fois ci en 2017, lorsque l’avionneur lui apportera de nouveau son soutien dans la rude bataille des législatives de 2017.

                                                    DES AMIS SENATEURS DE TOUS BORDS

2013 est marquée par le refus par un lot de sénateurs de lever l’immunité parlementaire de Serge Dassault mis en examen dans la sempiternelle affaire d’achats de voix et d’homicide volontaire (un meurtre effectué en plein centre-ville.)

Serge Dassault continue de fasciner ses adversaires politiques : à commencer par Jean Vincent Placé, sénateur Vert de l’Essonne qui se vante de sa proximité avec le milliardaire ou encore l’incontournable Jean Luc Mélenchon qui dit avoir de l’estime pour lui, ayant même favorisé son élection au Sénat en 2004 tout en fustigeant le représentant du « Grand Capital » qu’il est….

En 2014, face au tollé provoqué par le couac de l’an passé, Serge Dassault verra cette fois-ci levée son indemnité parlementaire. Il annonce qu’il ne sollicitera pour les élections qui se profilent à l’automne un nouveau mandat au Palais du Luxembourg.

Les observateurs politiques imaginent le « chant du cygne » pour le « système Dassault » mais les municipales de 2014, toujours menée par Jean-Pierre Bechter sont triomphales pour ce dernier qui est largement réélu au second tour avec près de 56 % des voix. Le Corrézien a profité de deux choses : la forte abstention et surtout le rejet de la Gauche, aussi bien nationale que municipale ou le duo Da Silva-Piriou s’entretuent après une alliance de dernière minute.

                                                                                     RETOUR AU CONSEIL GENERAL

La réforme cantonale de 2015 qui supprimera la moitié des cantons de l’Essonne (dont beaucoup dans le sud rural) mais pas le nombre de conseillers qui restent identique (42 mais avec une parité égale Homme-Femme) voit la victoire écrasante de la Droite qui obtient 30 des 42 sièges à pourvoir. D’abord pressenti pour assurer la présidence de l’Exécutif, Georges Tron, empêtré dans ses ennuis judiciaires doit céder la place à François Durovray….

Dans le nouveau canton de Corbeil, qui comprend outre le chef-lieu, les communes de Lisses, Villabé et Echarcon, c’est Jean-Pierre Bechter et Caroline Varin qui l’emporte largement devant le candidat du Front National.

Bruno Piriou qui était Conseiller général de Corbeil-Ouest depuis 1998 a été éliminé dès le 1 er tour. Le maire de Corbeil-Essonnes retrouve donc les bancs d’un conseil cette fois départemental (après celui de la Corrèze) devenant même Vice-Président chargé des finances.

Mais son passage à l’Hôtel du Département va être de courte durée : lors d’un voyage en Floride, Jean Pierre Bechter tombe gravement malade, victime d’une sévère intoxication alimentaire : il frôle la mort et doit subir une longue convalescence. Il décide alors de démissionner et cède ainsi la place à son suppléant, un certain…Serge Dassault !

L’ancien maire de Corbeil retrouve un siège qu’il avait occupé entre 1988 et 2004, date de son élection au Sénat. Il devient bien évidemment le doyen de l’assemblée départementale : à 90 ans !

                                                                                    LA CONDAMNATION

Mais la justice ne lâche pas Serge Dassault qui outre ses problèmes présumés « d’achat de voix » lors des municipales est également dans le viseur du Parquet national Financier qui l’accuse d’avoir dissimulé au fisc plusieurs dizaines de millions d’euros placés par le biais de fondations ou de société-écrans dans des paradis fiscaux pendant plus d’une décennie.

Bien que s’étant acquitté de cette dette en ayant régularisé sa situation, le vieil homme est condamné à cinq ans d’inéligibilité et à une lourde amende de deux millions d’euros. Il échappe cependant à la prison, probablement en raison de son grand âge … Il fait appel de la décision tout en annonçant qu’il renonce aux sénatoriales prévues à l’automne 2017.

                                                                        UN HOMMAGE EN DEMI-TEINTE

Sa mort suscite une certaine émotion dans la classe politique et économique. Beaucoup loue ses qualités de « Capitaine d’industrie » qui a su fructifier l’entreprise créée par son père et son rôle majeur jouée dans l’histoire industrielle de notre pays depuis plus d’un demi-siècle.

Au niveau politique, Manuel Valls lui rend un hommage courtois et se déclare très triste, même son pire adversaire, Bruno Piriou concède que l’homme avait indéniablement un attachement profond pour « sa ville » et ses habitants….

A contrario, le quotidien « Libération » publie à sa Une un « Dassault, tiré d’affaires » expliquant que les différentes condamnations ou inculpations du milliardaire vont s’éteindre de facto avec son décès. Des propos qui vont jusqu’à ulcérer plusieurs patrons de Gauche, tel Claude Perdriel, fondateur du Nouvel Observateur et ancien condisciple de Dassault en « Taupe » à Janson-de-Sailly….

Plusieurs hommages lui seront rendus : l’un national dans la cour des Invalides et bien sûr un autre devant le parvis de l’Hôtel de Ville de Corbeil-Essonnes. Une histoire d’amour avec une ville se termine ainsi après plus de quarante ans avec ses hauts et bien sûr ses bas…….

                                                                                  L’APRES-DASSAULT

En 2020, deux ans après le décès de Serge Dassault, les élections municipales se préparent à Corbeil-Essonnes comme partout en France. Des élections qui vont être bousculées du fait de l’apparition d’une incroyable pandémie, où l’on va voir trois mois s’écouler entre le premier et le second tour !

Jean-Pierre Bechter, 76 ans se représente mais avec des troupes en ordre dispersé : son adjoint Jean-François Bayle prend la tête d’une liste dissidente, ce qui risque de lui compliquer la tâche pour espérer être réélu facilement.

Bruno Piriou, souvent surnommé « le Loser de Corbeil Essonnes » par ses adversaires politiques (comme d’ailleurs par également une partie de la gauche) s’engage dans une nouvelle bataille politique, la 5ème depuis 2001 avec cette fois-ci une particularité : il s’est émancipé du Parti Communiste pour constituer une liste étiquetée « Divers Gauche », nommé « Le Printemps de Corbeil-Essonnes ».

A l’issue du premier tour, l’éternel candidat malheureux va créer la surprise en arrivant en tête avec 34 %, devançant Jean Pierre Bechter avec 30 % et son ex-adjoint qui en obtient 17 %, les deux frères ennemis décident de fusionner et peuvent espérer conserver la mairie, avec une partie de l’appoint des voix du candidat Macroniste, mais celui-ci se maintiendra au second tour….

Au soir de ce second tour, la liste menée par Bruno Piriou l’emporte avec 48 % des suffrages devant celle de Jean Pierre Bechter avec 43 % tandis que celle de Jean Luc Raymond ferme la marche avec 8 %. Ainsi s’achève ce soir-là 25 ans de gouvernance Dassault sur la mairie de Corbeil-Essonnes, annonçant surtout la fin du « Système Dassault » diront ses plus virulents détracteurs.

Lors de la passation de pouvoir, le maire sortant Jean-Pierre Bechter annonce qu’il ne siègera pas dans le nouveau Conseil municipal, mais il restera Conseiller départemental jusqu’aux élections de 2021. Rappelons qu’il a été mis en examen en 2014 pour "achats de votes" et qu’en cette même année 2020, il a été condamné à 2 ans de prison avec sursis et 5 ans d’inéligibilité pour sa participation à ce système.

Bruno Piriou qui savoure son succès et dont beaucoup saluent son opiniâtreté pour avoir réussi à se faire élire après quatre tentatives infructueuses quand d’autres auraient probablement jeter l’éponge, mais cela n’est pas sans rappeler, les quatre tentatives de son meilleur ennemi Serge Dassault pour briguer le même poste.

L’ancien Communiste promet alors qu’il n’y aura pas de « chasse aux sorcières » au sein de la municipalité. Il dresse cependant un violent réquisitoire contre le « système Dassault » et promet de redonner dès à présent un « second souffle » à Corbeil-Essonnes.

Pourtant, le souvenir de l’Ere Dassault plane encore sur la ville des Grands Moulins, celui qui fut (officiellement) maire pendant 14 ans et qui vit la continuation de sa politique par son successeur Jean-Pierre Bechter pendant 11 ans ne va pas s’effacer aussi vite.

Malgré les condamnations judicaires sur le « fort clientélisme » qui fut la règle durant près d’un quart de siècle et la mise en place d’un système d’achats de voix en échange de « services », d’emplois municipaux et d’aides financières à certaines populations, avec parfois quelques dérives mafieuses avérées, l’ombre du vieux milliardaire continue de planer sur les deux rives de la Seine.

C’est l’histoire d’un milliardaire libéral et anti-communiste qui s’était amouraché d’une grande cité ouvrière marquée à gauche. Son ancienne résidence « la Villa des Pinsons » a été récemment vendue par la famille Dassault et sera bientôt transformée en Collège mais il est peu probable qu’il porte le nom de l’avionneur parti rejoindre les étoiles