Le mirage de la Proportionnelle

Editorial du 3 juin.

EDITORIALACTUALITÉ

Et voilà que la proportionnelle se réinvite dans le débat politique, à l’initiative du Premier Ministre François Bayrou, qui a toujours été partisan de ce mode de scrutin considéré comme plus juste que l’actuel scrutin majoritaire et surtout plus démocratique car reflétant fidèlement la diversité des opinions politiques dans un pays.

Une autre de ses vertus serait qu’il permette à des partis minoritaires ou émergents d’obtenir des sièges. Cela a longtemps été vrai mais lors des dernières élections législatives à la suite de la dissolution : on a pu constater que le Rassemblement National a raflé plus de 130 sièges au scrutin majoritaire tandis qu’il y a encore peu, il ne pouvait compter que sur la proportionnelle pour espérer obtenir des sièges.

D’ailleurs, le début de son ascension remonte à 1986, lorsque François Mitterrand, craignant une déroute électorale des forces de Gauche, fit adopter de façon machiavélique la réforme du mode de scrutin, n’empêchant pas l’opposition de la Droite et du Centre de l’emporter mais avec un score beaucoup plus étriqué que prévu.

Si des formations minoritaires comme les Verts ont pu envoyer des députés au Palais-Bourbon, c’est surtout le Front National du turbulent Jean Marie Le Pen qui en fut le principal bénéficiaire avec 35 députés, dont son chef de retour dans l’hémicycle après 25 ans d’absence !

La Gauche évita donc le naufrage tandis que la Droite accéda au pouvoir, sous le régime de la Cohabitation, gênée par l’émergence d’un parti qui commença alors son irrésistible ascension, devenant une sorte de poil à gratter de l’échiquier politique, commençant à attirer la partie la plus à droite de son électorat mais comme on le verra bien plus tard mais également un électorat populaire issu de la gauche non socialiste (incarnée notamment par un PCF en perte de vitesse).

A l’époque, Michel Rocard, qui entretenait des relations Je t’aime moins non plus avec le Chef de l’Etat (dont il deviendra cependant le Premier Ministre en 1988) quitta le gouvernement (il était ministre de l’Agriculture) pour protester contre ce mode de scrutin. Aujourd’hui, c’est Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur qui formule la même menace à l’endroit du chef du gouvernement, car fermement opposé à ce mode de scrutin et qu’il devrait en outre défendre en sa qualité de ministre de l’Intérieur. La nouvelle coqueluche des médias, « boosté » par sa victoire à la présidence des Républicains aime user fréquemment de cette citation : "La proportionnelle, c’est la fin des majorités claires et donc de l’action politique efficace.".

On peut lui donner partiellement raison, en déplorant que même avec le scrutin majoritaire, la clarté n’est actuellement plus de mise ».

Cependant, il n’a pas intérêt à démissionner tout de suite car cela reviendrait à se marginaliser au moment même où ses idées sont en débat et qu’il joue un rôle dans le positionnement de son parti face à l’exécutif, risquant au passage de scier la branche sur laquelle il est confortablement assis.

En dehors de ces combinaisons politiques, il est nécessaire de rappeler que l’instauration de la Proportionnelle pourrait amener des effets négatifs car malgré les avantages cités plus hauts, elle comporte des effets problématiques :

Instabilité gouvernementale : en l’absence de majorité claire, les gouvernements sont souvent de coalition, donc fragiles. Comme on l’a vu récemment, des alliances de compris restent très compliquées en France, car souvent jugées comme synonyme de compromission avec le spectre permanent de blocage politique, a contrario de nos voisins, habitués à ce genre de tractations.

Sans oublier l’inexorable Montée des extrêmes : les partis radicaux qu’ils soient à l’Extrême Gauche ou Droite accèdent plus facilement aux assemblées, ce qui peut normaliser certains discours ou les rendre incontournables dans les alliances.

Perte de lisibilité politique : les citoyens ont du mal à savoir qui est responsable de quoi dans un système fragmenté. Les institutions de la Ve République, fondées sur la stabilité exécutive, ne sont pas naturellement compatibles avec un système où aucune majorité ne se dégage clairement.

On l’a compris, cette réforme de la Proportionnelle a souvent été promise mais rarement appliquée, mise à part dans les élections municipales et régionales, où se mixent le scrutin majoritaire et une dose de proportionnelle, permettant à une partie de l’opposition de siéger dans les conseils municipaux ou régionaux ainsi que dans les commissions.

Alors, la proportionnelle n’est t’elle qu’un mirage, que l’on promet souvent mais qu’on n’espère ne jamais mettre en œuvre complètement car elle effraie les partis majoritaires qui y perdraient leur pouvoir ?

Il est clair qu’un changement de règles, celui souhaité par le Premier Ministre et une partie de la classe politique ne suffirait certainement pas à résoudre la crise de la démocratie participative, car aucun système n’est neutre ni parfait…

Trouver l’équilibre entre représentativité, efficacité et stabilité est certainement la meilleure des solutions, mais dans ce vieux pays de Gaulois plus enclin à opter pour une posture d’affrontement que de concessions, le combat semble encore très loin…….

Philippe DUPONT