La dynastie Duhamel-Saint Cricq.
Chronique d’un pouvoir médiatique à la française
MEDIASCHRONIQUE
Dans l’histoire du journalisme politique français, rares sont les patronymes aussi omniprésents que celui des Duhamel. Depuis les années 1960, le nom s’affiche sur les plateaux télé, dans les rédactions, à la radio, dans les maisons d’édition, et désormais sur les réseaux sociaux.
Portant un patronyme très répandu en Normandie, ces férus de politique n’ont cependant aucun lieu de parenté avec le politologue et ancien Député européen, Olivier Duhamel, fils de l’ancien ministre Jacques Duhamel, sous l’ère Pompidou.
Le terme « dynastie Duhamel » s’est imposé dans le langage médiatique et sur les réseaux sociaux pour désigner ce réseau familial aux ramifications multiples.
L’accusation principale : être une reproduction sociale et médiatique qui concentrerait trop de pouvoir d’influence dans les mains d’une même famille. Les critiques évoquent un entre-soi parisien, une vision homogène du monde politique, et une connivence supposée avec les dirigeants qu’ils commentent.
En janvier 2024, une polémique éclate quand on rappelle que la ministre Amélie Oudéa-Castéra est la nièce par alliance des Duhamel (lDominique, soeur d'Alain et Patrice est la mère de l'ancienne camarade de promo à l'ENA d'Emmanuel Macron) — alimentant les soupçons d’un réseau d’élites politico-médiatiques où les frontières se brouillent.
Au niveau de l'omniprésence de cette famille médiatique, Alain Duhamel lui-même s’en est agacé : « C’est complètement idiot ! Il y a trop de gens de la famille, d’accord, mais chacun a sa vie, son parcours. »
L’affaire Duhamel n’est pas isolée. Elle illustre une réalité plus large : la concentration des médias et la circulation des élites issues des mêmes écoles (Sciences Po, ESJ, etc.).
Le journalisme politique, en particulier, reste un milieu très fermé, où la reconnaissance, la cooptation et le capital symbolique comptent autant que la compétence pure.
La « dynastie Duhamel » devient alors un symbole commode : celui d’un système médiatique qui peine à se renouveler, où le nom et le réseau continuent d’ouvrir des portes que d’autres peinent à franchir.
À cette lignée s’est ajoutée celle des Saint-Cricq, autre dynastie de presse, issue du Sud-Ouest et propriétaire du quotidien tourangeau : La Nouvelle République du Centre-Ouest.
De cette union est née une véritable constellation médiatique où les générations se succèdent sans rupture : Alain, Patrice, Nathalie, Benjamin. Chacun occupe, à sa manière, une place stratégique dans le commentaire et la narration de la vie politique française.
Tout commence donc avec Alain Duhamel, né en 1940 à Caen (Calvados) petit-fils et fils de médecins, qui n’ont aucun lien de parenté non plus avec Georges Duhamel, également médecin et écrivain.
Diplômé de Sciences Po Paris, le jeune Alain épouse la carrière de journaliste dès 1963 en entrant au prestigieux quotidien de la rue des Italiens « Le Monde » alors dirigé par Hubert Beuve-Méry.
Il s’illustre rapidement en rédigeant avec Jacques Fauvet, (futur patron du journal) à une « Histoire du Parti Communiste Français » paru en 1966.
Sans abandonner la presse écrite, il devient rapidement la voix du commentaire politique à l’ORTF dès 1965 lors de la première élection du Président de la République au suffrage universel. Armes souvient notamment qu’il fut l’un des animateurs de l’émission « A armes égales » en 1971 (avec Michel Bassi et André Campana) entre Jean Royer et Maurice Clavel, lorsque ce dernier, ulcéré d’avoir constaté qu’une phrase avait été enlevée lors du montage de son film avait alors déclamé « Messieurs les censeurs, bonsoir ! » quittant le plateau sous les applaudissements d’un public acquis.
On n’a pas oublié non plus qu’il fut l’un des deux arbitres (avec Jacqueline Baudrier) du duel du second tour Giscard/Mitterrand en 1974 puis de son binôme formé avec Jean-Pierre Elkabbach dans « Actuel 2 » et à « Cartes sur Table » dans les années 70, poursuivi en solo dans les années 80-90 avec « L’Heure de Vérité » animé par François-Henri de Virieu.
Alain Duhamel est un boulimique de travail à n’en pas douter : on le voit, l’entend et le lit partout : à France-Culture, RTL, Europe 1, Libération, le Point jusqu’à BFM aujourd’hui…
Beaucoup d’entre nous ont l’impression de l’avoir toujours connu, un peu comme Michel Drucker au niveau des émissions de variétés. A contrario de ce dernier, il avait annoncé en juin 2025, qu’il tirait sa « référence » un peu sous la pression amicale de son épouse (qui est musicienne) qui lui avait rappelé qu’à 85 ans, il était de prendre une retraite bien méritée….
Lui-même reconnaissait qu’il avait peut-être fait son temps et répétant qu’il y avait beaucoup de Duhamel dans les médias, notamment son neveu Benjamin qui était salarié sur la même chaîne que lui. Mais, un peu comme les promesses de Nouvel An, le vétéran du journalisme politique a finalement décidé de prendre une semi-retraite, intervenant encore occasionnellement à la télévision et à la radio…
C’est vrai, ses éditoriaux et ses interventions ont fait de lui une figure respectée (et ses nombreux ouvrages, notamment sur l’Histoire de la Vème République restent des références pour tous ceux qui s’intéressent à la vie politique, dont l’auteur de ces lignes) mais parfois contestée.
Ces détracteurs a contrario, voient en lui l’incarnation d’un journalisme de complaisance, d’analyse institutionnelle, parfois déconnecté des réalités sociales.
Son style, entre érudition et ironie, l’a toutefois imposé comme l’un des « sages » du paysage médiatique. Il a souvent été accusé d’avoir ses préférences politiques tout en réfutant de les mettre en avant.
Toutefois, il n’a jamais caché ses sympathies centristes, ayant soutenu naguère l’UDF et le Modem et partiellement Emmanuel Macron, se définissant comme un libéral pro-européen. Il a clairement affiché sa profonde hostilité au Rassemblement National et à la Gauche Radicale, s’affichant également comme un Républicain laïc.
Né en 1945, Patrice Duhamel est le frère cadet d’Alain. Elève au lycée de Nogent sur Marne, il a pour professeur de mathématiques un certain Michel Chevalet (qu’il recroisera plus tard à la télévision où ce dernier officie comme journaliste scientifique). Après des études d’économie à l’Université de Paris-Assas, il devient également journaliste à l’ORTF en 1970.
En 1974, il devient chef du service de politique intérieure sur TF1 puis ultérieurement du service Politique et social. En 1980, il anime « Le Grand débat » un show politique et devient rédacteur en chef en 1981.
Encore très jeune, Patrice Duhamel s’impose comme une « valeur sûre » du journalisme politique, comme le fera bien plus tard son propre fils Benjamin.
A l’époque, il fait dire à Marie-France Garaud « J’ai fait un cauchemar, j’ai rêvé qu’il y avait un troisième frère Duhamel »
En fait, il y a bien un troisième mais lui n’officie pas dans le journalisme. En effet, Jean-François Duhamel a épousé la carrière médicale comme leur propre père.
Plutôt marqué à droite, Patrice Duhamel n’échappera pas à la « purge » de 1981dans l’audio-visuel public, aussi violent que celles de 1968 et 1974. Il s’oriente progressivement vers des fonctions managériales. Il sera progressivement directeur des programmes de RMC, directeur de l’information la défunte « La Cinq » mais également directeur de l’antenne de France Inter (1993) puis des antennes de Radio France, de France 2 puis directeur général de France Télévisions, du « Figaro », etc…
Il commet également plusieurs ouvrages politiques, dont le récent « La Photo » paru en 2025, rédigeant auparavant plusieurs livres en collaboration avec Jacques Santamaria (dont la « Vie quotidienne à l’Elysée »).
Il est également président de l’Ecole de Journalisme d’Aix-Marseille. Bref, une vie professionnelle bien remplie et où l’idée de prendre sa retraite (il va avoir 80 ans) n’est pour l’instant pas vraiment envisagée. On le voit souvent sur les plateaux télé mais cette fois-ci en ayant repris la casquette de commentateur politique…
Il apparait indéniablement comme un « Homme d’appareil, de coulisses et de négociation » et qui a été l’un des « architectes » de la télévision publique moderne…
D’ailleurs, il est marié (en secondes noces) à Nathalie St Cricq. Cette dernière, née en 1962, Nathalie Saint-Cricq appartient elle aussi à une famille de médias.
Son grand-père, Jacques Saint-Cricq, présida La Nouvelle République du Centre-Ouest ; son père, Jean-Michel Saint-Cricq, en fut DFégalement dirigeant.
Passée par Sciences Po et l’ESJ Lille, elle débute sur La Cinq avant de rejoindre France 2. Elle y gravit tous les échelons jusqu’à devenir cheffe du service politique puis éditorialiste en chef, poste qu’elle a occupé pendant les élections présidentielles de 2012 et 2017.
Connue pour son ton sec, son exigence et ses formules parfois tranchantes, elle a animé le débat Macron–Le Pen de 2017 aux côtés de David Pujadas.
Son influence dans les rédactions politiques de France Télévisions a longtemps été considérable. Elle est aujourd’hui chroniqueuse et productrice éditoriale.
Le couple a eu deux enfants, dont Benjamin, la nouvelle « Coqueluche » des médias. Né en 1995, il incarne la continuité familiale.
Formé à Sciences Po, il entre à RTL, puis devient journaliste politique à BFMTV en 2019.
Très présent sur les réseaux sociaux, il s’impose rapidement comme une figure montante du commentaire politique : ton rapide, synthèse efficace, relais entre générations.
En 2025, il quitte BFMTV pour rejoindre France Inter, où il anime la matinale politique, succédant à Léa Salamé.
S’il a souvent été raillé pour son nom, il répond : « Ce n’est pas parce qu’on s’appelle Duhamel qu’on n’a pas le droit d’aimer la politique. »
Ses détracteurs lui reprochent d’être né dans un univers fermé, où les relations familiales servent de tremplin. Ses partisans soulignent sa compétence et sa maîtrise des codes contemporains du débat politique.
Sa mère Nathalie Saint-Criq quant à elle vante l’ascension rapide de son fils, rappelant qu’au passage, il gagne bien plus qu’elle à présent malgré toutes ses années d’ancienneté.
Son père, Patrice Duhamel rétorque que sa formation à Sciences PO Paris justifie son actuel statut et que lui-même était déjà chef de service politique à 30 ans.
Sa compagne, Agathe Lambret, également journaliste officie également à Radio-France, notamment à France-Info. Elle a fait ses débuts sur BMTV dès 2012, rejoignant le service politique en 2015, c’est à cette occasion qu’elle rencontre Benjamin Duhamel.
Arrivée sur France Info en 2023, elle a également intégré le service politique, présentant d’abord la matinale du Week-end puis la tranche du soir (18h-21h) depuis 2024.
La dynastie Duhamel–Saint-Cricq, plus qu’un cas individuel, agit comme un miroir du fonctionnement de la presse française.
Elle révèle les forces et les faiblesses d’un écosystème où la compétence cohabite avec la reproduction, la passion avec l’héritage, et la notoriété avec la suspicion.
Certes, leurs noms ouvrent des portes. Mais leur longévité médiatique, leur connaissance fine du pouvoir et leur talent d’analyse leur ont permis de s’y maintenir.
À l’heure où les Français se méfient plus que jamais des médias, cette famille rappelle qu’en politique comme en journalisme, la confiance ne se transmet pas : elle se mérite.
L’affaire Duhamel–Saint-Cricq n’est pas isolée. Elle illustre une réalité plus large : la concentration des médias et la circulation des élites issues des mêmes écoles (Sciences Po, ESJ, etc.).
Le journalisme politique, en particulier, reste un milieu très fermé, où la reconnaissance, la cooptation et le capital symbolique comptent autant que la compétence pure.
La « dynastie Duhamel » devient alors un symbole commode : celui d’un système médiatique qui peine à se renouveler, où le nom et le réseau continuent d’ouvrir des portes que d’autres peinent à franchir.

