Grandeur et décadence

Editorial du 29 septembre

EDITORIALACTUALITÉ

Philippe DUPONT

Nicolas Sarkozy n’aura pas été un président comme les autres. Son parcours politique ressemble à une tragédie antique : une ascension fulgurante, un sommet de pouvoir éclatant, et une chute marquée par l’usure, les défaites et la justice. Il fascine autant qu’il agace, inspire autant qu’il divise, incarnant le paradoxe d’un homme à la fois omniprésent et fragilisé....

Son incarcération prochaine suite à sa condamnation pour association de malfaiteurs a provoqué une onde de choc dans l’opinion publique et dans la classe politique car c’est la première fois qu’un ancien Chef d’Etat, joueur invétéré du Monopoly politique va finalement aboutir à la case "Prison".

Les esprits les plus railleurs diront qu’il va pouvoir enfi entamer un deuxième « quinquennat » dans son nouveau palais de 9 m2, probablement à la prison de la Santé. Ses partisans crient à l'acharnement politico-judiciaire qui voient les juges se transformer en justicier tandis que d'autres, plutôt des opposants font mine de montrer de la compassion pour l'ancien Président.

Si l'on remonte loin en arrière, on se souvient de l'époque où un jeune homme ambitieux avait découvert le goût du pouvoir et des intrigues politiques lorsqu' à 28 ans, il devint Maire de Neuilly sur Seine en mettant à terre un Charles Pasqua, favori à la succession d'Achille Peretti, récemment décédé.

Celui qui sera brièvement avocat va rapidement gagner du galon au sein du RPR alors dominé par celui qui était quelque peu son "père politique" Jacques Chirac auquel il succédera à l'Elysée en 2007, bien après avoir eu l'outrecuidance de lui préferer Edouard Balladur lors de la Présidentielle de 1995...

Député des Hauts de Seine et Président du Conseil général du même département, il sera un ministre influent dès 1993 et s’imposera rapidement comme l’étoile montante de la droite française., Il mettra en exergue sa singularité : un rythme effréné, une volonté de conquête, une obsession de l’action. Le peuple le contemple, fasciné par son énergie, mais inquiet de son impatience. L’homme politique se forge ainsi une réputation de prince pressé, qui ne connaît ni lenteur ni compromis.

Beaucoup le reconnaissent: c'est un véritable "animal politique" mais qui n'est pas issu du sérail (ENA, Polytechnique, Normale Sup) comme ses prédécesseurs et même ses deux successeurs, ni un "français de souche" comme on aime à dire aujourd'hui, issu d'un père exilé hongrois tardivement naturalisé français et d'une mère provenant de la communauté Séfarade de Grèce  Non, il d'abord un "militant de base" dès l'âge de 18 ans avant de gravir les marches quatre à quatre qui mène au pouvoir.

Nicolas Sarkozy atteint le sommet : l’Élysée s’ouvre à lui. Son quinquennat est l’incarnation de la vitesse et de l’audace. Il parle, décide et agit avec une omniprésence que peu d’hommes politiques ont connue. Il "débauche" au passage un certain nombre de personnes issues de la gauche pour entrer dans son gouvernement, comme le fera bien après un autre jeune homme très pressé en 2017.


C’est l’heure de la grandeur : le président charismatique, réformateur, parfois flamboyant, il fascine le pays et inquiète ses ennemis. Ses partisans voient en lui l’homme qui modernise, qui secoue et qui ose. Oui mais voilà: cette grandeur porte déjà en elle les germes de la décadence. Son style bling-bling, ses décisions parfois abruptes, et la crise économique de 2008 commencent à ternir l’image d’un président jusque-là perçu comme invincible.

La lumière du pouvoir est éblouissante, mais elle fatigue. La population se lasse du rythme incessant, du style direct et des excès symboliques (Fouquet’s, Rolex, yachts). La popularité décline, les critiques se multiplient. L’homme d’action devient un homme poursuivi par sa propre image. Le volontarisme se transforme en agitation, et l’ombre de la défaite commence à planer.

Le peuple tranche : François Hollande émerge, et Sarkozy tombe. La perte est totale : il n’est plus le maître du palais, il est le vaincu. Mais l’orgueil et la passion politique l’incitent à revenir. Il reprend la tête de son parti, tente la primaire de 2016, mais son propre camp l’écarte. Le prince déchu est maintenant confronté à l’humiliation politique et à l’impuissance

Les affaires judiciaires viennent sceller son destin. Bettencourt, Bygmalion, financement libyen… certaines se concluent, mais d’autres mènent à la condamnation. Celui qui fut roi dans les palais de la République devient accusé, jugé, condamné. La déchéance est complète, l'ancien Maestro dirige un orchestre o% résonne les casserolles et pourtant, l’homme ne disparaît pas de l’histoire collective.

Malgré tout, Sarkozy reste une figure incontournable. Il fascine par son énergie, son volontarisme et son style direct. Il agace par ses excès, ses provocations et ses défaites répétées. La grandeur nourrit la décadence ; la chute nourrit la légende. Sarkozy n’est plus président, mais il demeure pour ses partisans un héros tragique moderne, symbole d’une ambition sans limite et d’une vie politique où le charisme peut survivre à la défaite et au jugement.

Nicolas Sarkozy est l’archétype du héros tragique contemporain : un homme dont l’ascension fulgurante, le règne éclatant et la chute judiciaire rappellent les tragédies antiques. Sa vie politique illustre que la grandeur et la décadence sont souvent inséparables, et que la mémoire collective peut transformer aussi bien le vaincu en légende qu'en quidam tombé dans les oubliettes de l'Histoire...