Franco ha muerto !
20 novembre 1975: mort du Caudillo et fin de 40 ans de dictature...
HISTOIRE POLITIQUEINTERNATIONAL.


Le Général Franco et son "successeur" désigné Juan Carlos: ça ne s'est pas passé comme prévu...
Le 20 novembre 1975, un communiqué laconique annonce : « Franco ha muerto ». Pour les Espagnols et pour une grande partie de l’Europe, c’est la fin d’une interminable agonie, mais surtout l’effondrement d’un régime autoritaire né de la guerre civile. En France, Le Canard enchaîné ironise sur les multiples bulletins médicaux qui ont précédé la mort du Caudillo : « Franco est mort… enfin ! ». L’humour grinçant accompagne un soulagement largement partagé.
Celui qui présida aux destinées de l’Espagne durant 36 ans était né 83 ans plus tôt, en décembre 1892 à Ferrol, une ville côtière de Galice, au nord-ouest de la péninsule Ibérique, au sein d’une famille comptant plusieurs générations de militaires et de marins.
C’est tout naturellement qu’il poursuit la tradition familiale en s’engageant très jeune dans l’armée. Cependant, son propre père Nicolas Franco, officier de marine n’a pas une grande estime pour son fils cadet qu’il juge fragile, timide et surtout sans avenir en tant que militaire même lorsqu’il s’empare du pouvoir par la force en 1939, il affirmera non sans mépris « lui au pouvoir ? laissez-moi rire ! ».
Pourtant, Francisco Franco y Bahamonde gravira très rapidement les échelons, promu général à seulement 34 ans, après s’être illustré au Maroc où il s’avère être un combattant compétent mais également brutal. Il est clair que L’absence du père et son attitude dépréciative ont contribué à façonner la personnalité de Francisco Franco et son besoin de contrôle, sa rigidité morale ou encore la valorisation extrême de la discipline
En 1936, un coup d’État militaire éclate contre la République espagnole. Franco devient l’un des principaux leaders nationalistes même si à l’origine, il n’était pas forcément destiné à devenir chef d’État, mais le chaos et la guerre favorisent son ascension.
Il se retrouve ainsi à la tête des forces nationalistes et, par un mélange de circonstances, d’opportunisme et de loyauté militaire, devient le dictateur de l’Espagne après la victoire en 1939.
De facto, il instaure une dictature autoritaire, réprimant violemment ses adversaires d’hier avec de nombreuses arrestations, exécutions et censure, provoquant l’exil d’un grand nombre d’entre eux (notamment vers la France voisine). Il se transforme en chef d’un Etat ultra-centralisé, préside le gouvernement et s’autoproclame commandant en chef des forces armées.
Il interdit la quasi-totalité des partis, impose le Castillan comme langue de l’administration, interdisant l’usage des autres langues régionales (surtout le Catalan, dont l’usage est limité à la simple sphère familiale). Un grand nombre d’observateurs s’étonnera de la longévité de son régime, à l’instar de son voisin Portugais Salazar (qui lui est arrivé au pouvoir en 1932) qui va s’étendre dans les deux cas sur près de quatre décennies…
La raison principale de leur maintien au pouvoir après la seconde guerre mondiale est liée à leur soutien timide voire réfractaire au régime Nazi et Fasciste d’Hitler et de Mussolini durant le conflit mondial. Le « Fuhrer » était persuadé qu’il pourrait entrainer le nouveau régime Franquiste dans la Seconde Guerre mondiale et y obtenir des concessions stratégiques, telles des bases militaires. Alors qu’il rencontre le Caudillo à Hendaye en 1940, il en ressort exaspéré des exigences irréalistes de son interlocuteur (immenses livraisons de matériel, absorption des colonies françaises d’Afrique du Nord, etc…). qu’il juge comme un militaire sans vision, réactionnaire et surtout inapte à comprendre l’hégémonisme du projet Nazi…
Le dictateur Espagnol n’aime pas Hitler non plus et se méfie du Nazisme, préférant maintenir son pays hors du conflit (surtout parce qu’il est exsangue après les trois années de guerre civile), tout en entretenant de très timides relations avec Berlin, il ne tardera à s’éloigner définitivement de lui dès que les premières défaites de l’armée du IIIème Reich, ce qui peut expliquer qu’il n’est pas connu la même débâcle qu’Hitler et Mussolini et durer trente ans de plus qu’eux…
Franco va donc jouer la carte de la Neutralité internationale, mettant donc son pays en dehors des zones de conflits et s’il commence à développer des relations diplomatiques stratégiques notamment avec les Etats-Unis à la fin des années 50, c’est pour sortir du splendide isolement dans lequel il a plongé l’Espagne, pratiquant jusqu'alors une politique économique autarcique.
En effet, durant les années 40-50, le pays est replié sur lui-même, les importations sont restreintes et l’absence d’investissements étrangers se fait ressentir. Le pouvoir franquiste contrôle l’Etat, tant au niveau des prix, des salaires, de la production ou du commerce extérieur. Les pénuries sont massives et le rationnement alimentaire va durer jusqu’en 1952.
En outre, cette faible productivité va aggraver le retard technologique et généraliser la pauvreté à travers tout le territoire espagnol.
Il est clair que l’Autarcie voulue par Franco est un échec économique total et conduit le pays vers le précipice. C’est pourquoi le régime va changer radicalement de stratégie et se rapprocher des USA et du FMI afin de sortir de l’impasse.
En 1959, un vaste plan de stabilisation de l’Economie est mis en place, il comprend la dévaluation de la Peseta, la libéralisation du commerce extérieur, la réduction des dépenses publiques mais également l’ouverture aux investissements étrangers qui jusqu’alors faisait gravement défaut.
C’est alors que l’Espagne va connaitre une forte croissance économique à l’instar des pays du Marché commun que l’on ne va pas tarder de surnommer le « Miracle Espagnol » Ces années 60 marquent également le développement massif du tourisme et de ses infrastructures (pour le meilleur comme pour le pire), de son industrie automobile, caractérisée par la marque nationale SEAT, de la chimie ou encore de la sidérurgie.
Ce »boom économique » est favorisé par une manœuvre abondante et bon marché tandis que l’émigration des travailleurs espagnols vers l’Europe occidentale (surtout la France voisine) va permettre l’envoi de devises.Il va également favoriser une urbanisation rapide, une hausse du niveau de vie et même l’apparition d’une classe moyenne, toutefois de criantes inégalités persistent au niveau social et régional…
Et comme ses voisins, le premier choc pétrolier de 1973 va brutalement ralentir la croissance économique, provoquant une inflation galopante et une poussée massive du chômage, facteur de tensions sociales sensibles en cette fin de période franquiste.
On l’a oublié mais l’Europe occidentale de l’époque connait encore trois régimes dictatoriaux : la Grèce, depuis 1967 après le « coup d’Etat des Colonels », le Portugal de Marcelo Caetano qui a succédé à Salazar, décédé en 1970 et bien sûr l’Espagne.
Une Espagne ou les partis politiques d’opposition au régime et les syndicats sont toujours interdits et la plupart des leaders vivent en exil, ce fut le cas notamment de Felipe González, désigné en 1974 à Suresnes (France) pour diriger le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE).
La contestation internationale s’amplifie également, notamment lors du procès de Burgos (1970) concernant des militants indépendantistes Basques, où Franco doit céder à la pression mondiale en commuant les peines de mort. En 1973, L’amiral Carrero Blanco, président du Gouvernement est assassiné par un commando de l’ETA qui prive le régime de son successeur le plus fidèle et accentue sa fragilité.
LE DAUPHIN QUI A FAIT RETOURNER FRANCO DANS SA TOMBE
Quatre ans plus tôt, Franco est de plus en plus vieillissant et conscient qu’il ne restera pas éternellement au pouvoir, pense à sa succession et surtout au maintien de son régime en adoubant son « successeur » qui n’est autre que Juan Carlos de Bourbon, fils du Comte de Barcelone et descendant direct de Louis XIV et futur Roi d’Espagne….
Le vieux dictateur était convaincu que Juan Carlos, serait un souverain docile et fidèle à la continuité du régime. Il le considérait comme un homme jeune, inexpérimenté et donc dépendant des cadres franquistes.
Pourtant, Franco se trompa totalement : dès son accession au trône en 1975, Juan Carlos prit ses distances avec l’héritage autoritaire, soutint la mise en place d’un gouvernement réformateur et devint l’un des artisans déterminants de la transition démocratique même si ses débuts furent compliqués du fait de sa nomination par Franco et d’un grand sentiment de méfiance qu’il suscita alors…
Son choix de nommer Adolfo Suárez et de légaliser progressivement les partis politiques, y compris le Parti communiste démontra son engagement clair en faveur d’un changement profond que Franco n’avait jamais envisagé et qui a du se « retourner dans sa tombe » tant le souverain s’est ingénié à détricoter « l’œuvre » du Caudillo. Les premières élections libres seront organisées en 1977 .Une Espagne qui va donc sortir de la dictature et s’engager vers un processus démocratique et un peu plus tard à une adhésion à la Communauté économique européenne.
UN ROI POUR LES REPUBLICAINS
En 1981, Le rôle de Juan Carlos dans la consolidation de la démocratie se manifesta de manière éclatante lors de la tentative de coup d’État du 23 février 1981, mené par le lieutenant-colonel Antonio Tejero, qui fit irruption armée au Congrès des députés.
Alors que l’incertitude régnait dans tout le pays, le roi intervint publiquement à la télévision, en uniforme de chef des armées, pour condamner sans ambiguïté le soulèvement et affirmer son soutien total à la Constitution. Cette intervention décisive permit d’isoler les putschistes et d’empêcher le retour à l’autoritarisme. Ce geste renforça son image d’un souverain engagé dans la défense de la démocratie, au point que le leader communiste Santiago Carrillo le qualifia de « roi pour les républicains », symbole d’une figure monarchique acceptée même par ceux qui avaient historiquement rejeté la monarchie….
QUE RESTE-T'IL DU FRANQUISME ?
Aujourd’hui, près d’un demi-siècle après la mort de Franco, l’Espagne est devenue une démocratie solide, intégrée à l’Union européenne et fondée sur l’État de droit. Pourtant, il subsiste encore des traces du franquisme. On les retrouve dans certains débats de mémoire, dans la présence de symboles ou de noms de rues longtemps hérités du régime, ainsi que dans la persistance de clivages politiques liés à la guerre civile et à la dictature.
La transition démocratique, volontairement modérée, n’a pas complètement effacé ce passé : elle a choisi la réconciliation et parfois le silence plutôt que l’épuration. Cependant, les réformes récentes — comme les lois de mémoire historique — montrent la volonté de l’Espagne de reconnaître les victimes et d’affronter plus clairement son histoire. Ainsi, s’il reste encore des empreintes culturelles, institutionnelles et mémorielles du franquisme, celles-ci n’ont plus de réalité politique : l’Espagne s’est construite durablement comme une démocratie qui, tout en regardant son passé, s’en est définitivement détachée.