Félix Kir, le Chanoine Républicain.

PORTRAITHISTOIRE POLITIQUE

                                                                                                                        « Le seul cocktail fort à la mode acceptable avec du vin est le kir » (Félix Kir, février 1967)

Le Chanoine Kir, c’était la Bourgogne incarnée : solide comme un cep de vigne, droit comme une rangée de cassis, et gouailleur comme un vieux vigneron au bistrot. Il aimait la riposte vive, la boutade qui claque, l’image triviale qui désarme son interlocuteur. Ce mélange de piété, rusticité et humour a fait de lui une légende populaire....

Félix Adrien Kir naquit à Alise Sainte Reine le 22 janvier 1876, une commune de la Côte d'Or qui est le site présumé d'Alesia. Il était le fils de Pierre Kir, un modeste perruquier-coiffeur, dont les ancêtres étaient d'origine Alsacienne et d'une Cuisinière, Anne Lapipe. Petit dernier d'une famille de 5 enfants, le jeune Félix a la vocation précoce de devenir prêtre et entre en 4ème au Séminaire de Plombières-les-Dijon.

En 1901, il sera ordonné prêtre, devient Vicaire à Auxonne puis Curé de Bèze (On ne rit pas) de  1910 à 1924, où il s’implique activement dans la commune avant d’être nommé Chanoine à Dijon en 1931. C’est dans la Capitale de la Bourgogne qu’il souhaite se lancer dans la vie politique dès 1936 mais l’évêque de Dijon s’oppose fermement à son choix.

C’est la Guerre et la nomination d’un nouvel évêque plus conciliant qui va favoriser le destin politique du Chanoine Kir : après la fuite du maire de Dijon lors de la débâcle de 40, le voilà qui prend la tête de la Délégation municipale, rassurant au passage ses administrés terrorisés par les bombes nazies avec des propos qui n’appartiennent qu’à lui : « Ne vous en faites pas. C’est comme les billets de loterie. Ça ne tombe pas sur tout le monde ! (Sic).

Cependant, très rapidement le truculent Chanoine ne va pas tarder à fustiger l’Occupant et va aider pour faire évader des prisonniers du Camp de Longvic tout en collaborant avec la Résistance, ce qui lui vaudra d’être arrêté en octobre 1940 et d’échapper de justesse au peloton d’exécution. Il sera d’ailleurs arrêté à moultes reprises, manquant d’être assassiné par un Milicien avant de rejoindre la Clandestinité.

Après être rentré dans Dijon le 11 septembre 1944 avec la 1re armée française, c'est tout naturellement que le chanoine Kir est élu maire de la ville avec ces trois mots d'ordre : « Nourrir, vêtir, loger. » Il entre désormais en politique : conseiller général, élu aux deux assemblées constituantes de 1945 et 1946, député à la première Assemblée nationale en 1946, il sera réélu sans interruption jusqu’en 1967, date de sa défaite contre Robert Poujade, le futur ministre de l’Environnement, qui deviendra d’ailleurs Maire UDR de Dijon de 1971 à 2001.

Félix Kir, sera réélu à la tête de la Capitale Bourguignonne lors des élections municipales de 1947 et restera en poste jusqu’à son décès en 1968, à l’âge de 92 ans ! Il aimait dire :« J’ai deux mandats : celui que m’a confié le bon Dieu, et celui que m’ont confié les Dijonnais ».

Il faut le dire : l’homme avait autant de malice dans les yeux que de gouaille dans la bouche. On raconte qu’il tenait ses conseils municipaux comme d’autres tiennent un banquet : généreux, tonitruants, avec l’art de trancher les débats d’une phrase qui sentait le terroir.

Ses adversaires politiques ? Il les torpillait d’une boutade, tel ce militant communiste qui niait l’existence de Dieu, car « on ne l’a jamais vu ».
«
Mon cul existe, pourtant tu ne l’as jamais vu ! » lui répliquait avec verdeur le truculent prélât…

Ses administrés ? Il les charmait par sa bonhomie. On le décrivait comme haut en couleur, gouailleur, populaire, proche du peuple, un homme qui savait manier l’humour et la bonhomie.

La notoriété du Chanoine va bientôt devenir internationale : Avant la Seconde Guerre mondiale, on servait souvent en Bourgogne un apéritif appelé blanc-cassis, mélange de vin blanc aligoté et de crème de cassis (production traditionnelle de Dijon). Mais après-guerre, les bons vins blancs de Bourgogne manquaient, et l’aligoté, plus rustique, était jugé trop acide seul.

Le chanoine Kir popularisa ce mélange auprès de ses invités officiels et diplomatiques, notamment en tant que maire de Dijon mais également dans les salons lambrissés de l’Assemblée nationale. En hommage à son « invention », le cocktail prit le nom de « Kir » qui a pu se décliner sous divers noms, « Royal » quand le Champagne remplace le vin blanc, « Impérial » (même recette mais à Fontainebleau et Rambouillet), « Breton » en Armorique ou encore « Communard » lorsqu’il est servi avec du vin rouge.

Depuis, le monde entier trinque au nom de ce curé politicien. On a fait des variantes, on a mis du champagne, du cidre, du vin rouge, mais l’esprit reste le même : convivialité, simplicité, un rien de malice et beaucoup de chaleur humaine. En vérité, le chanoine Kir n’a pas seulement laissé son nom sur les cartes des bars. Il a incarné une Bourgogne truculente, franche, sans détour, où la parole est aussi colorée que le cassis et où l’on se serre la main comme on remplit le verre : généreusement.