C'est l'histoire d'un homme qui était né Gaulliste...
Editorial du 5 mars.
EDITORIAL


Il est mort à 80 ans, pratiquement au même âge que le Général de Gaulle, dont il fut un des plus ardents défendeurs de l’héritage politique. Fils du premier chef de Gouvernement de la Vème République, Jean-Louis Debré était tombé dans la marmite du Gaullisme dès le berceau et en aura gardé l’esprit jusqu’à son dernier souffle.
Il s’était fait plus qu’un prénom, à l’instar de son frère jumeau Bernard, au sein d’une illustre famille paternelle qui compte un nombre impressionnant de médecins, de magistrats, d’artistes et bien sûr de grands serviteurs de l’Etat.
Lui-même ne dérogea pas à la règle, optant pour la magistrature tout comme son père Michel, tandis que son jumeau Bernard devint professeur de médecine, comme leur grand-père Robert, fondateur des CHU.
Né au lendemain de la Libération de la France, ce fils de Résistant, eut d’abord une adolescence compliquée liée à des problèmes de santé, ce qui l’empêcha de présenter le baccalauréat, mais grâce aux bons conseils de l’éminent juriste Pierre Mazeaud, il passa finalement une capacité en droit puis suivit des études supérieures et de sciences politiques pour obtenir notamment un Doctorat en Droit public.
Il occupera dans les années 70, le poste de substitut du Procureur de la République à Evry-Corbeil (Essonne) puis de juge d’instruction au Tribunal de Grande Instance de Paris, se spécialisant dans les affaires de Terrorisme et de grand banditisme…
Mais il finit par attraper comme son jumeau le virus de la politique en 1986, transmis par leur père Michel, longtemps maire d’Amboise, Sénateur d’Indre et Loire puis Député de la Réunion. Lui jettera son dévolu sur l’Eure, un département de Haute-Normandie, qui fut naguère la terre d’élection de Pierre Mendès-France ou de l’ancien secrétaire général de l’UDR, René Tomasini puis plus tard de Bruno Le Maire tandis que son frère Bernard reprit le flambeau familial en Touraine, en devenant Député-Maire d'Amboise.
Outre son père Michel Debré, auquel il vouait une grande vénération, on ne peut oublier les liens très forts qui le liait depuis sa rencontre en 1967 avec Jacques Chirac, ce dernier d’ailleurs plus Pompidolien que Gaulliste et avec qui il entretint une fidélité sans faille jusqu’à la disparition de celui-ci.
Il devint même son ministre de l’Intérieur entre 1995 et 1997 (Gouvernement d’Alain Juppé) mais ce ne fut pas pour autant la partie la plus glorieuse de sa carrière politique car il fut alors critiqué pour la fermeté de sa politique sécuritaire, notamment dans le contexte des vagues d’attentats qui ont touché la France en 1995, attribués au Groupe islamique armé (GIA). Face à ces menaces, il a intensifié les expulsions d’étrangers considérés comme radicalisés et a renforcé les dispositifs de surveillance.
Son action a suscité dès lors des critiques de la part de certaines associations de défense des droits de l’homme, qui dénonçaient des mesures jugées excessives et attentatoires aux libertés publiques. Dans la presse, il a parfois été caricaturé comme un ministre répressif, incarnant une ligne dure sur les questions de sécurité et d’immigration.
Dans la multitude d’hommages de toute la classe politique, de droite comme de gauche, c’est surtout comme Président de l’Assemblée nationale entre 2002 et 2007 qu’il a changé de statut : passant de celui d’un porte-flingue de Chirac, promoteur d’une « droite dure » à celle d’un « homme d’Etat ouvert au dialogue, droit et promoteur des droits de l’Opposition au sein de l’Hémicycle.
Selon le Communiste André Chassaigne, il fut « le meilleur Président de l’Assemblée qu’il y ait connu » malgré leur divergence politique et il n’est pas le seul, d’autres lui ont emboité le pas pour saluer « sa hauteur de vue », sa capacité à maitriser des débats parfois vifs et à redorer l’image de la Politique au sein d’une assemblée, que lui-même avait fréquenter alors qu’il était en encore en culture courte.
Il devient maire d’Evreux entre 2001 et 2007 après avoir mis fin à un quart de siècle de gestion communiste mais démissionna après sa nomination au Conseil Constitutionnel, gravissant ainsi un nouvel échelon, en étant nommé Président du Conseil Constitutionnel par Jacques Chirac et succédant à une vieille connaissance: Pierre Mazeaud, l’ancien vainqueur de l’Everest qui lui avait permis, en le poussant à reprendre ses études à trouver « sa voie », dans les allées du pouvoir….
Son passage dans l’institution est notamment marqué par l’invalidation des comptes de campagne de Nicolas Sarkozy, accusant ce dernier d’avoir très largement dépassé le plafond légal autorisé, entrainant de facto l’annulation du remboursement des avances de l’Etat, provoquant une crise financière à l’UMP, obligé d’organiser une campagne de dons pour couvrir cette dette.
Tout cela peut paraître surprenant, car Jean Louis Debré était issu du même camp politique que l’ancien maire de Neuilly mais à qui il vouait une certaine inimitié (doux euphémisme), lui reprochant de « n’avoir avoir aucun sens de l’Etat » mais qu’il avait toutefois intronisé, toujours respectueux du verdict du suffrage universel comme « Président de la République » en 2007.
Il finit sa carrière en devenant Président du Conseil des Archives, continua à se consacrer à l’écriture (essais, romans policiers), continua à faire de l’humour politique décapant et à faire des imitations de ses contemporains, monta des pièces de théâtre avec sa nouvelle compagne notamment sur le combat des femmes dans l’ Histoire….
Avec Jean-Louis Debré, une page de l’histoire de la Vème République (dont certains imaginent une mort imminente) vient donc de se refermer définitivement ainsi qu’une certaine façon de faire de la politique. Cet héritier qui se désolait de la médiocrité actuelle du débat politique aura-t-il des successeurs ?
Tout est possible, car la Politique est loin, comme chacun sait, d’être une science exacte….